pe de mon poeme; je voudrais etre
solitaire pour y travailler. Madame d'Houdetot m'a dit que vous aviez
a Meudon une jolie chambre ou vous n'allez point."--"Mon cher abbe,
ecoutez-moi: nous avons tous une chimere que nous placons loin de nous;
si nous y mettons la main, elle se loge ailleurs. Je ne vais point a
Meudon, mais je me dis chaque jour: J'irai demain. Si je ne l'avais
plus, je serais malheureux."--Delille aurait ete un peu embarrasse, je
pense, si Diderot l'avait pris au mot, et il se serait vite ennuye de
cette chambre solitaire. La campagne fut toujours, si l'on peut dire, le
_dada_ de l'abbe Delille; il en parlait, meme aveugle, comme d'un charme
present. Bernardin de Saint-Pierre, dans une lettre a sa femme, raconte
que l'abbe Delille est venu s'asseoir pres de lui a l'Institut: "Je l'ai
trouve si aimable et si amoureux de la campagne, dit-il, et il m'a fait
des compliments qui m'ont cause tant de plaisir, que je lui ai offert
de venir a Eragny..."--Apres bien des lectures a l'Academie et dans
les soupers, le poeme des _Jardins_, premier fruit raffine de ce
gout champetre, parut en 1782, et n'eut pas de peine a fixer toute
l'attention, alors si prompte.
[Note 26: Un homme de gout, qui dans sa jeunesse put etudier de pres
ce que de loin on confond, me fait remarquer que chez Saint-Lambert, au
milieu de la roideur et de la monotonie qui nous choquent aujourd'hui,
on saisirait un amour des champs, un sentiment de la nature tout
autrement vrai que chez Delille. Saint-Lambert avait ete eleve a la
campagne; il y avait vecu. Sa description de l'ete, par exemple, et de
la Canicule, a bien de l'energie et de la verite; elle se couronne par
ces beaux vers:
Tout est morne, brulant, tranquille; et la lumiere
Est seule en mouvement dans la nature entiere.
]
[Note 27: Lettres inedites de Volney, dans Bodin, _Recherches sur
l'Anjou_.]
Nous aurions peu de chose a en dire de nous-meme, qui n'eut deja ete
mieux dit par des contemporains. La Harpe, apres en avoir entendu des
extraits, le jugeait par avance _un ouvrage dont les idees sont un
peu usees, mais plein de details charmants_[28] L'auteur de _l'Annee
litteraire_, qui d'ailleurs allegea toujours sa ferule pour Delille,
prononcait[29] que le poeme de l'abbe Delille etait un veritable jardin
anglais: "On pourrait, dit-il, etre tente de croire que le poeme est
construit de morceaux detaches et de pieces de rapport reunies sous le
meme titre. Les idees y s
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