Racine
avait besoin d'etre modifie apres eux pour etre vraiment continue.
Pour rester poetique, la prose montant comme elle fit au siecle de
Jean-Jacques et de Buffon, il fallait changer de ton et hausser d'un
degre les moyens du vers. Boileau, je n'en doute pas, revenant a la fin
du XVIIIe siecle, eut fait ainsi et eut ete au fond un novateur en style
poetique, comme il le fut de son temps. Delille n'eut rien de tel. Il
ne comprit pas de quelle reparation il s'agissait. Les modifications
materielles qu'il apporta a la versification, ses enjambements et ses
decoupures ne furent que des gentillesses sans consequence, et qui
n'empecherent pas chez lui, en somme, le retrecissement de l'alexandrin.
De style neuf et souverainement construit, il n'en eut pas. Sa seule
direction fut un vague instinct de melodie et d'elegance a laquelle sa
plume cedait en courant. Du commerce des anciens il ne rapporta jamais
ce sentiment de l'expression magnifique et comme religieuse, ce voile de
Minerve, ou chaque point, touche par l'aiguille des Muses, a sa raison
sacree.
On l'a compare a Ovide. Le docte et elegant auteur des Metamorphoses,
comme ne craint pas de l'appeler M. de Maistre, est bien superieur
a Delille en invention, en idees. Mais, par beaucoup de cotes et de
details, le rapport existe. Ovide, par exemple, en etait venu a ne
faire du distique qu'une paire de vers tombant deux a deux, tandis
qu'auparavant, et surtout chez les plus anciens, comme Catulle, la
phrase poetique se deroulait libre a travers les distiques. Delille
et son ecole en etaient ainsi venus a accoupler deux a deux les
alexandrins.
La difference entre Ovide et Catulle est un peu la meme qu'entre Delille
et Andre Chenier. Ovide a de l'esprit, de l'abondance, de jolis vers,
de jolies idees, mais du prosaisme, du delayage. Jamais, par exemple,
l'inspiration ne lui viendra de terminer une piece de vers, comme
celle de Catulle a Hortalus, par cette image et ce vers tout poetique,
tournure imprevue, concise et de grace supreme, comme Andre Chenier fait
souvent; oubli du premier sujet dans une image soudaine et finale qui
fait rever:
Huic manat tristi conscius ore rubor.
Jamais l'idee ne serait venue a Andre Chenier d'intituler le premier
chant d'un poeme de l'Imagination: L'homme sous le rapport intellectuel.
Delille est le metteur en vers par excellence. Tout ce qui pouvait
passer en vers lui semblait bon a prendre. Les vers meme tous faits, il
les de
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