remier rayon de lune amoureuse, comme une aube ideale a jamais
regrettee[61]?
[Note 61: Girodet dans _Endymion_, Prudhon surtout en quelques-unes
de ses productions trop rares, ont concu et dispose la scene naturelle
sous un jour assez semblable.]
On pourrait dire de Bernardin qu'il entend la nature de la meme maniere
qu'il entend Virgile, son poete favori, admirablement tant qu'il se
tient aux couleurs, aux demi-teintes, a la melodie et au sens moral;
le _lacrymae rerum_ est son triomphe; mais il devient subtil,
superstitieux et systematique quand il descend au menu detail et qu'il
cherche, par exemple, dans le _conjugis infusus gremio_ une convenance
entre cette _fusion (infusus)_ et le dieu des forges de Lemnos. Le baton
d'olivier, et non de houx ou de tout autre arbrisseau, que porte Damon
dans la huitieme eglogue, lui parait un symbole bien choisi de ses
esperances. De meme, en exagerant et subtilisant en mainte occasion
au sujet des bienfaits et des prevenances de la nature, il lui arrive
d'impatienter a bon droit celui qu'il vient de charmer; a force
d'apologie, il rappelle et provoque les objections. Quand on n'est plus
dans la premiere innocence pastorale de l'enfance, il veut trop vous y
ramener. _Candide_, si on a le malheur de l'avoir lu, ou le poeme _sur
le Desastre de Lisbonne_, vous apparait au revers du feuillet en plus
d'une page. Bernardin, si intime dans quelques parties du sentiment de
la nature, est superficiel a l'article du mal. Il n'en tient pas compte,
il ne l'explique en rien. Dans son vague deisme evangelique, il n'est
pas plus chretien que pantheiste en cela. Un contemporain de Bernardin
de Saint-Pierre, spiritualiste comme lui, et protestant egalement contre
les fausses sciences et leurs conclusions negatives, Saint-Martin, a
bien autrement de profondeur. S'il est insuffisant a remuer et, pour
ainsi dire, a faire fremir avec grace le voile de la nature, s'il lui
est refuse de revetir d'images transparentes, et accessibles a tous,
les verites qu'il medite, et s'il les ensevelit plutot sous des clauses
occultes, il contredit, sinon avec raison en principe (ce que je ne
me permets pas de juger), du moins avec une portee bien superieure,
quelques-unes des douces persuasions propagees par Bernardin; par
exemple, que _la nature, qui varie a chaque instant les formes des
etres, n'a de lois constantes que celles de leur bonheur_. "La nature,
dit Saint-Martin, est faite a regret. Elle semble occup
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