campagne, un jour de pluie, vers une fin
d'automne, reprenant le volume neglige, on retrouvait tout d'abord
(sujet de circonstance) _le Coin du feu_, celui de _l'Homme des Champs_
ou celui des _Trois Regnes_, diversement spirituels ou touchants, on
serait charme a bon droit, on s'etonnerait d'avoir pu etre si severe
pour le gracieux poete, et l'on s'ecrierait en relisant la page: _Son
genie est la!_
Je n'aborderai pas en particulier chacun des ouvrages publies par
Delille a dater de 1800; ce serait repeter a chaque examen nouveau les
memes critiques, les memes eloges, et je n'aurais guere rien a en dire
d'ailleurs qui n'ait ete trouve par des contemporains memes. Ginguene
a juge _l'Homme des Champs_ avec un melange de severite et de
bienveillance qui fait honneur a son esprit et a la critique de son
temps. Geoffroy, quoique du meme parti politique que Delille, s'est
montre beaucoup plus severe dans la nouvelle _Annee litteraire_ qu'il
essaya alors, et il menagea moins l'aimable auteur que l'ancienne _Annee
litteraire_ ne l'avait fait. Fontanes, bien qu'ami du poete et defenseur
du poeme, cacha sous beaucoup d'eloges des critiques moins detaillees,
mais au fond a peu pres les memes que celles de Ginguene, et qui
acquierent sous sa plume favorable une autorite nouvelle. Ginguene
encore a juge dans _la Decade_ la traduction de _l'Eneide_, et cette
fois sa severite plus rigoureuse va chercher les negligences et le faux
jusque dans les moindres replis de ce faible ouvrage[45]. Les amis de
Delille se rejetaient sur quelques morceaux ou ils admiraient un grand
merite de difficulte vaincue, l'episode d'Entelle et de Dares, et en
general la description des _jeux_. Bientot _la Decade_ cessant, le parti
philosophique perdit son organe habituel en litterature et son droit
public de contradiction: le champ libre resta aux eloges. Meme dans ces
eloges des amis triomphants de Delille, nous retrouverions toutes les
critiques suffisantes sur l'absence de composition et les hasards de
marqueterie de ses divers ouvrages. M. de Feletz a ecrit le lendemain de
sa mort: "J'oserai dire qu'il a ete plus heureusement doue encore
comme homme d'esprit que comme grand poete." En y mettant moins de
_prenez-y-garde_, nous ne dirions guere autrement. Mais il convient
d'insister sur une seule objection fondamentale qui embrasse tous les
ouvrages et l'ensemble du talent de Delille: nous lui reprocherons de
n'avoir eu ni l'art ni le style poetique.
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