s'assied et regarde au dehors.]
VERTILLAC. C'est trop fort! [A Corlaix.] Commandant, je reclame votre
arbitrage.
BIRODART. Moi aussi.
CORLAIX [allant a eux]. Qu'est-ce que c'est?
VERTILLAC. Birodart est mon partenaire. Je lui annonce une longueur de
carreau.
BIRODART. Pardon, pardon, mon cher, commencons par le commencement. Je
demande un sans atout.
VERTILLAC. Un sans atout avec ce jeu-la. Regardez, Commandant.
BIRODART. C'est un jeu superbe.
[Pendant la querelle, Brambourg est entre dans le salon. Sans bruit, il
ferme le rideau qui separe le salon de la salle a manger.]
SCENE II
JEANNE, BRAMBOURG.
BRAMBOURG. Fermons la cage. Ils vont se devorer. Affreux spectacle! [Il
fait quelque pas vers Jeanne.] Ah! la rade de Toulon! Les lumieres, les
feux des batiments. Parions que vous trouvez ca tres joli?
JEANNE. Ce n'est pas votre avis?
BRAMBOURG. Si, si, mais moi, devant ces grands spectacles, je suis moins
interesse par leur ensemble que par tel petit detail que je decouvre
tout a coup et que je decouvre d'autant plus que j'imagine qu'il est a
moi seul. Aussi jugez si je le deguste en gourmet. Par exemple, ce soir,
je l'ai decouvert tout de suite en entrant, mon petit detail, et il est
particulierement joli. [S'approchant encore de Jeanne qui regarde par le
sabord et semble ne pas l'ecouter.] Savez-vous, Madame, pourquoi cette
grande mer a ete creee, pourquoi cette enorme masse sombre pleine de
lueurs?... Non? Tout simplement pour qu'un reflet bleu, si leger qu'il
est a peine perceptible, frissonne ... sur la courbe blanche de votre
epaule. [Geste de pudeur de Jeanne. Elle se leve et s'eloigne de lui.]
JEANNE. Monsieur ... vous n'etes pas au bridge?...
BRAMBOURG. Pas encore. J'attends. Je ne me presse jamais. Pas seulement
quand il s'agit de bridge, mais aussi des autres jeux, meme le plus
grand de tous: la vie. Oui, j'ai la fatuite de croire que mon tour
viendra toujours et cela me donne une grande patience. Les rebuffades me
font moins de mal. J'espere, j'attends ... Oui, c'est bien cela!
j'attends. C'est delicieux de consoler.
JEANNE. Consoler?
BRAMBOURG. Consoler.
JEANNE [changeant de ton]. Monsieur Brambourg, je vais vous faire un
aveu: je suis tres sotte.
BRAMBOURG [se recriant]. Oh!
JEANNE. Si, si. Je me connais bien, allez. Et la preuve, c'est que je ne
vous comprends pas. Vous croyez avoir affaire a une Parisienne. J'ai ete
elevee a la campagne, puis j'ai vecu
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