mon coeur brule ... moins
passionnement, certes, mais plus profondement peut-etre parce qu'il est
vieux et qu'il souffre.
JEANNE. Il souffre?
D'ARTELLES. Le martyre ... je l'ai vu pleurer! Oh! tout de meme, il a
beau t'aimer, je t'aime mieux!... je t'aime mieux parce que tu te
laisses aimer ... Non, non, non, il ne t'aime pas comme moi, mais il
t'aime mieux que tous les autres, mille fois mieux ... et veux-tu me
promettre ... veux-tu?
JEANNE. Promettre quoi?
D'ARTELLES. Je vais te dire, mais promets d'abord.
JEANNE. Eh bien, je promets, qu'est-ce que c'est?
D'ARTELLES. Mon tout petit, ma petite fille faible ... s'il vient un jour
ou tu ne m'aimes plus ... non, ce n'est pas ca ... il ne viendra jamais ce
jour-la, je veux dire: quand je ne serai plus la ... quand je serai
parti ... mort ... eh bien, accorde-moi une chose ... une grace ... ne plus
aimer ... essayer au moins ... faire un effort pour ne plus aimer
d'amour ... pour aimer seulement d'amitie, de tendresse ... pour aimer
comme tu aimais ton papa et ta maman ... seulement comme ca ... pour
n'aimer seulement que ton mari, rien que ton mari.
JEANNE. Oui ... je promets.
D'ARTELLES. Je t'aime.
JEANNE. Je te promets, mon cheri, mais tu sais ce n'etait pas la peine
de me faire promettre. Comprends donc: quand je me suis mariee, je ne
savais pas, j'avais de l'estime, du respect, c'est tout ... j'etais
excusable, je savais si peu, si peu que je pourrais, je crois, lui dire
que je ne lui ai jamais menti. Mais toi, je t'ai choisi, je t'ai aime
vraiment. Quelle femme serais-je, maintenant, si je me mentais a
moi-meme? N'aie pas peur, je t'aime ... je t'aime ... et je t'ai promis ...
et je te promets encore, mon cheri, cheri, qui vas partir! Mais pourquoi
dire cela ... quand meme tu mourrais avant moi, ce sera dans si
longtemps ... je serai tellement vieille!... Mais que je te dise aussi ...
veux-tu que je te dise?
D'ARTELLES. Bien sur que je veux.
JEANNE. Eh bien, voila: mon mari ... je l'aime ... je l'aime vraiment, je
l'aime beaucoup.
D'ARTELLES. Eh la!
JEANNE. Ne plaisante pas, tu n'as pas le droit, c'est toi qui as
commence ... c'est toi qui as dit des choses serieuses le premier, par
consequent ... oui, j'aime mon mari ... pas d'amour, bien sur, je l'aime
parce qu'il est bon, parce qu'il est indulgent, parce qu'il est fier, et
silencieux ... et secret ... et sais-tu? a partir d'a present, je vais
l'aimer bien plus encore.
D'ARTELLES [
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