JEANNE. Pardon, Messieurs. Mon mari ne jouera pas tout de suite si vous
permettez. Il a des choses importantes a me dire.
RABEUF [a Fergassou]. Commencons toujours. On est quatre.
FERGASSOU. Eclipsons-nous sans en avoir l'air ...
[En riant, ils vont rejoindre les joueurs. Ceux qui ne sont pas assis a
la table de bridge se groupent pour suivre la partie. Jeanne et Corlaix
restent seuls dans le salon.]
JEANNE [qui est assise deliberement pres du bureau de Corlaix]. Eh bien,
Fred?
CORLAIX. Vous etes bien sure que c'est moi qui ai a vous parler? [Jeanne
fait un "oui" tres serieux de la tete.] Ah! alors ... Mais qu'est-ce que
j'ai a vous dire?
JEANNE. Oh! Fred! Il faut que ce soit moi qui vous souffle ... dans des
circonstances pareilles? [Affectueusement] Vous avez a me dire que vous
auriez beaucoup de peine s'il vous fallait quitter votre petite fille
sans lui dire adieu!
CORLAIX. Voyons! Voyons! Pour une petite fille, le depart d'un vieux
monsieur n'est jamais une chose bien grave!
JEANNE. Un vieux monsieur? Mais je vous defends de traiter ainsi mon
mari ... On voit bien que vous ne le connaissez pas. Si vous pouviez
l'apprecier, vous sauriez qu'il est le plus brillant officier de notre
marine et que je serais, moi, un monstre si je n'etais pas extremement
fiere d'etre sa femme. Vous sauriez que je suis devant lui comme un
enfant qui a trouve dans son sabot de Noel un cadeau magnifique,
beaucoup trop magnifique, bien au-dessus de son intelligence et de son
age. Il le regarde avec respect et il est impatient de grandir pour le
connaitre tout a fait ...
CORLAIX. Le petit Noel s'est trompe ...
JEANNE. Le petit Noel ne se trompe jamais!
[Un temps. Corlaix medite, le regard perdu. Tous les mots lui ont fait
mal.]
JEANNE [qui tripote d'une main les feuilles qui sont sur le bureau,
changeant de ton]. Oh! mais c'est un scandale abominable! Une etrangere
au milieu de ces documents secrets! Vous la cherchez? Mais c'est cette
affreuse petite patte, cette intrigante!... Oh! moi, je sais bien ce
qu'elle veut, et vous Fred, vous ne devinez pas? Allons, vite, vous
voyez bien que je fais le guet. [Pendant qu'elle surveille les joueurs,
Corlaix qui a compris s'empare de la main de Jeanne et la baise avec
passion. Jeanne eclate de rire, triomphante.]
CORLAIX. Enfant!
JEANNE. Pas plus que vous.
[Depuis un instant, il y a de sourdes rumeurs de dispute a la chambre de
bridge. Jeanne se sauve vers le sabord,
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