nant, ca y est! Et lui qui avait tant peur de ca! Il peut
y avoir des guerres, des tremblements de terre, des epidemies, nous
pouvons tous mourir... ca y est!!! Rien ne peut plus empecher ca!!!
pense a sa tete... et dis-toi... ca y est!!!!!
La baronne qui s'etranglait demanda:
--Reverras-tu Baubignac...?
--Non. Jamais, par exemple... j'en ai assez ... il ne vaudrait pas mieux
que mon mari...
Et elles recommencerent a rire toutes les deux avec tant de violence
qu'elles avaient des secousses d'epileptiques.
Un coup de timbre arreta leur gaite.
La marquise murmura:"C'est lui... regarde-le..."
La porte s'ouvrit; et un gros homme parut, un gros homme au teint
rouge, a la levre epaisse, aux favoris tombants; et il roulait des yeux
irrites.
Les deux jeunes femmes le regarderent une seconde, puis elles
s'abattirent brusquement sur la chaise longue, dans un tel delire de
rire qu'elles gemissaient comme on fait dans les affreuses souffrances.
Et lui, repetait d'une voix sourde: "Eh bien, etes-vous folles?...
etes-vous folles?... etes-vous folles...?"
LE BAPTEME
--Allons, docteur, un peu de cognac.
--Volontiers.
Et le vieux medecin de marine, ayant tendu son petit verre, regarda
monter jusqu'aux bords le joli liquide aux reflets dores.
Puis il l'eleva a la hauteur de l'oeil, fit passer dedans la clarte de
la lampe, le flaira, en aspira quelques gouttes qu'il promena longtemps
sur sa langue et sur la chair humide et delicate du palais, puis il dit:
--Oh! le charmant poison! Ou, plutot, le seduisant meurtrier! le
delicieux destructeur depeuples!
Vous ne le connaissez pas, vous autres. Vous avez lu, il est vrai, cet
admirable livre qu'on nomme l'_Assommoir_, mais vous n'avez pas vu,
comme moi, l'alcool exterminer une tribu de sauvages, un petit royaume
de negres, l'alcool apporte par tonnelets rondelets que debarquaient
d'un air placide des matelots anglais aux barbes rousses.
Mais tenez, j'ai vu, de mes yeux vu, un drame de l'alcool bien etrange
et bien saisissant, et tout pres d'ici, en Bretagne, dans un petit
village aux environs de Pont-l'Abbe.
J'habitais alors, pendant un conge d'un an, une maison de campagne que
m'avait laissee mon pere. Vous connaissez cette cote plate ou le vent
siffle dans les ajoncs, jour et nuit, ou l'on voit par places, debout
ou couchees, ces enormes pierres qui furent des dieux et qui ont garde
quelque chose d'inquietant dans leur posture, dans leur allure,
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