epete:
--Pardi, oui, ca valait ben ca. (Mme Bascule s'affaisse sur le banc
derriere elle, et se met a pleurer.)
LE JUGE DE PAIX, paternel.--Que voulez-vous; chere dame, je n'y peux
rien. Vous lui avez donne votre terre du Bec-de-Mortin par acte
parfaitement regulier. C'est a lui, bien a lui. Il avait le droit
incontestable de faire ce qu'il a fait et de l'apporter en dot a
sa femme. Je n'ai pas a entrer dans les questions de... de...
delicatesse.... Je ne peux envisager les faits qu'au point de vue de la
loi. Je n'y peux rien.
LE PERE PATURON, d'une voix fiere.--J'pourrais ti r'tourner cheuz nous?
LE JUGE.--Parfaitement. (Ils s'en vont sous les regards sympathiques des
paysans, comme des gens dont la cause est gagnee. Mme Bascule sanglote
sur son banc.)
LE JUGE DE PAIX, souriant.--Remettez-vous, chere dame. Voyons, voyons,
remettez-vous... et... si j'ai un conseil a vous donner, c'est de
chercher un autre... un autre eleve....
Mme BASCULE, a travers ses larmes.--Je n'en trouverai pas... pas....
LE JUGE.--Je regrette de ne pouvoir vous en indiquer un. (Elle jette un
regard desespere vers le Christ douloureux et tordu sur sa croix, puis
elle se leve et s'en va, a petits pas, avec des hoquets de chagrin,
cachant sa figure dans son mouchoir.)
LE JUGE DE PAIX se tourne vers son greffier, et, d'une voix
goguenarde.--Calypso ne pouvait se consoler du depart d'Ulysse. (Puis
d'une voix grave:)
Appelez les affaires suivantes.
LE GREFFIER bredouille.--Celestin Polyte Lecacheur.--Prosper Magloire
Dieulafait....
L'EPINGLE
Je ne dirai ni le nom du pays, ni celui de l'homme. C'etait loin, bien
loin d'ici, sur une cote fertile et brulante. Nous suivions, depuis le
matin, le rivage couvert de recoltes et la mer bleue couverte de soleil.
Des fleurs poussaient tout pres des vagues, des vagues legeres, si
douces, endormantes. Il faisait chaud; c'etait une molle chaleur
parfumee de terre grasse, humide et feconde; on croyait respirer des
germes.
On m'avait dit que, ce soir-la, je trouverais l'hospitalite dans la
maison du Francais qui habitait au bout d'un promontoire, dans un bois
d'orangers. Qui etait-il? Je l'ignorais encore. Il etait arrive un
matin, dix ans plus tot; il avait achete de la terre, plante des vignes,
seme des grains; il avait travaille, cet homme, avec passion, avec
fureur. Puis de mois en mois, d'annee en annee, agrandissant son
domaine, fecondant sans arret le sol puissant et vierge,
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