Le greffier alors, levant son front chauve, bredouille d'une voix
inintelligible: "Madame Victoire Bascule contre Isidore Paturon".
Une enorme femme s'avance, une dame de campagne, une dame de chef-lieu
de canton, avec un chapeau a rubans, une chaine de montre en feston sur
le ventre, des bagues aux doigts et des boucles d'oreilles luisantes
comme des chandelles allumees.
Le juge de paix la salue d'un coup d'oeil de connaissance ou perce une
raillerie, et dit:
--Madame Bascule, articulez vos griefs.
La partie adverse se tient de l'autre cote. Elle est representee par
trois personnes. Au milieu, un jeune paysan de vingt-cinq ans, joufflu
comme une pomme et rouge comme un coquelicot. A sa droite, sa femme
toute jeune, maigre, petite, pareille a une poule cayenne, avec une tete
mince et plate que coiffe, comme une crete, un bonnet rose. Elle a
un oeil rond, etonne et colere, qui regarde de cote comme celui des
volailles. A la gauche du garcon se tient son pere, vieux homme courbe,
dont le corps tordu disparait dans sa blouse empesee, comme sous une
cloche.
Mme Bascule s'explique:
--Monsieur le juge de paix, voici quinze ans que j'ai recueilli ce
garcon. Je l'ai eleve et aime comme une mere, j'ai tout fait pour lui,
j'en ai fait un homme. Il m'avait promis, il m'avait jure de ne pas me
quitter, il m'en a meme fait un acte, moyennant lequel je lui ai donne
un petit bien, ma terre de Bec-de-Mortin, qui vaut dans les six mille.
Or, voila qu'une petite chose, une petite rien du tout, une petite
morveuse....
LE JUGE DE PAIX.--Moderez-vous, madame Bascule.
MADAME BASCULE.--Une petite... une petite... je m'entends, lui a tourne
la tete, lui a fait je ne sais quoi, non, je ne sais quoi... et il s'en
va l'epouser ce sot, ce grand bete, et il lui porte mon bien en mariage,
mon bien du Bec-de-Mortin.... Ah! mais non, ah! mais non.... J'ai un
papier, le voila.... Qu'il me rende mon bien, alors. Nous avons fait un
acte de notaire pour le bien et un acte de papier prive pour l'amitie.
L'un vaut l'autre. Chacun son droit, est-ce pas vrai?
Elle tend au juge de paix un papier timbre grand ouvert.
ISIDORE PATURON.--C'est pas vrai.
LE JUGE DE PAIX.--Taisez-vous. Vous parlerez a votre tour. (Il lit.)
"Je soussigne, Isidore Paturon, promets par la presente a Mme Bascule,
ma bienfaitrice, de ne jamais la quitter de mon vivant, et de la servir
avec devouement.
Gorgeville, le 8 aout 1883."
LE JUGE DE PAIX.--Il y a
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