x avaient ete gagnees, comme il le
disait lui-meme en ses jours de modestie, "par relations", c'est-a-dire
pour avoir conduit chez des photographes des personnages exotiques en
vue qui le remerciaient de sa peine par la decoration de leur pays,
tandis que de son cote le photographe lui payait son courtage un louis
ou cent francs selon la qualite du sujet.
Lui aussi, apres quelques tours de valse dans le salon, amena Anie dans
le hall, qui decidement etait le lieu des confidences; et la,
s'arretant, il lui dit brusquement sans aucune preparation, d'une voix
que la valse rendait haletante:
--Est-ce que vous aimez la vie politique, mademoiselle? Aux prochaines
elections j'aurai juste l'age pour etre depute, et comme le ministre de
l'interieur, qui est mon cousin, m'a promis l'appui du gouvernement, je
suis sur d'etre nomme. Depute je deviendrai bien vite ministre. La femme
d'un ministre compte dans le monde, et quand elle est belle,
intelligente, distinguee, elle tient un rang qu'on envie. Nous
continuons, n'est-ce pas?
Et sans un mot de plus ils retournerent dans le salon en valsant.
Ce qui tout d'abord etait vague et incomprehensible se precisait
maintenant, et s'expliquait: on la croyait l'heritiere de son oncle, et
l'on prenait rang pour epouser cet heritage.
Quand la verite serait connue, que deviendraient ces pretendants si
empresses aujourd'hui? son mariage, deja si difficile, n'en serait rendu
que plus difficile encore: on ne se remet pas d'une si lourde deception.
V
Jusqu'a minuit Barincq resta au piano, et sans relache joua avec
l'energie et l'entrain d'un musicien de profession qui cherche a faire
ajouter une gratification a son cachet: a l'entendre, on pouvait croire
qu'il n'avait pas d'autre souci que le plaisir de ses invites et cela
meme etait releve avec des commentaires ou la sympathie manquait.
--Il fait tres bien danser, M. Barincq.
--Avec un brio etonnant...
--Surtout pour la circonstance.
--Madame Barincq m'a dit qu'il aimait tendrement son frere.
--La pensee de l'heritage fait oublier celle du frere.
Cependant, dans les courts instants de repos qui coupaient les danses,
son visage s'allongeait, ses levres s'abaissaient, et quand Anie le
regardait elle lisait dans ses yeux la sombre preoccupation qui, plus
d'une fois, lui eut fait oublier son role si elle ne le lui avait
rappele en posant simplement sa main sur le piano; alors il frappait
bruyamment quelques mesures
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