ve de Pau, dit-il quand la caleche s'engagea sur le pont.
--Mais c'est tres joli un gave, dit Anie, regardant curieusement les
eaux tumultueuses roulant dans leurs rives encaissees.
C'est une riviere comme une autre, dit madame Barincq, il n'y a que le
nom de change.
--C'est que, precisement, le nom peint la chose, repondit Barincq,
_gave_ vient de _cavus_, qui signifie creux.
--Et cette propriete, demanda madame Barincq, que vaut-elle
presentement?
--Je n'en sais rien.
--Que rapporte-t-elle?
--Environ 40,000 francs.
--Trouverait-on acquereur pour un million?
--Je l'ignore.
--Tu ne t'es pas inquiete de cela?
--A quoi bon!
--Comment, a quoi bon?
--Cherche-t-on un acquereur quand on n'est pas vendeur?
--Tu voudrais la garder?
--Tu ne voudrais pas la vendre, je pense?
--Mais...
--Tout nous oblige a la conserver et a l'exploiter pour le mieux de nos
interets; si elle rapporte 2 0/0 en ce moment, elle peut en rapporter 10
ou 12 un jour.
Stupefaite, elle le regarda:
--Certainement, dit-elle, je ne te fais pas de reproches, mon pauvre
ami, mais, apres vingt annees comme celles que je viens de passer, il me
semble que j'ai droit a un changement d'existence.
--Passer de notre bicoque de Montmartre au chateau d'Ourteau, n'en
est-il pas un en quelque sorte feerique?
--Est-ce a Ourteau que tu trouveras a marier Anie?
--Pourquoi pas?
Jusque-la Anie n'avait rien dit, mais, comme toujours, lorsqu'un
differend s'elevait entre son pere et sa mere, elle essaya d'intervenir:
--Je demande qu'il ne soit pas question de mon mariage, dit-elle, et
qu'on ne s'en preoccupe pas; ce que cet heritage inespere a de bon pour
moi, c'est de me rendre ma liberte; maintenant je peux me marier quand
je voudrai, avec qui je voudrai, et meme ne pas me marier du tout, si je
ne trouve pas le mari qui doit realiser certaines idees autres
aujourd'hui que celles que j'avais il y a un mois.
--Ce n'est pas dans ce pays perdu que tu le trouveras, ce mari.
--Je te repondrai comme papa: Pourquoi pas? si je devais tenir une place
quelconque dans vos preoccupations, mais justement je vous demande de ne
me compter pour rien.
--Tu accepterais de vivre a Ourteau?
--Tres bien.
--Tu es folle.
--Quand on etait resignee a vivre rue de l'Abreuvoir, on accepte tout...
ce qui n'est pas Montmartre, et d'autant plus volontiers que ce tout
consiste en un chateau, dans un beau pays...
--Tu ne le connais pas.
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