ai sera assez forte pour ne pas
s'effacer.
--N'est-ce pas que c'est beau? dit-il tout fier de l'emotion de sa
fille.
Mais madame Barincq coupa court a cette effusion:
--Tiens, voila notre chateau, dit-elle en montrant la vallee au bas de
la colline, au bord de ce ruban argente qui est le Gave, cette longue
facade blanche et rouge.
--Mais il a grand air, vraiment?
--De loin, dit-elle dedaigneuse.
--Et de pres aussi, tu vas voir, repondit Barincq.
--Je voudrais bien voir le plus tot possible, dit madame Barincq, j'ai
faim.
La cote fut vivement descendue, et quand apres avoir traverse le village
ou l'on s'etait mis sur les portes, la caleche arriva devant la grille
du chateau grande ouverte, la concierge annonca son entree par une
vigoureuse sonnerie de cloche.
--Comment! on sonne? s'ecria Anie.
--Mais oui, c'etait l'usage, du temps de mon pere et de Gaston, je n'y
ai rien change.
C'etait aussi l'usage que Manuel repondit a cette sonnerie en se
trouvant sur le perron pour recevoir ses maitres, et, quand la caleche
s'arreta, il s'avanca respectueusement pour ouvrir la portiere.
--Voulez-vous dejeuner tout de suite? demanda Barincq.
--Je crois bien, je meurs de faim, repondit madame Barincq.
Quand Anie entra dans la vaste salle a manger dallee de carreaux de
marbre blanc et rose, lambrissee de boiseries sculptees, et qu'elle vit
la table couverte d'un admirable linge de Pau damasse sur lequel
etincelaient les cristaux tailles, les salieres, les huiliers, les
saucieres en argent, elle eut pour la premiere fois l'impression du luxe
dans le bien-etre; et, se penchant vers son pere, elle lui dit en
soufflant ses paroles:
--C'est tres joli, la richesse.
Ce qui fut joli aussi et surtout agreable, ce fut de manger
tranquillement des choses excellentes, sans avoir a quitter sa chaise
pour aller, comme dans la bicoque de Montmartre, chercher a la cuisine
un plat ou une assiette, ou remplir a la fontaine la carafe vide, en
habit noir, gante, Manuel faisait le service de la table,
silencieusement, sans hate comme sans retard, et si correctement qu'il
n'y avait rien a lui demander.
Pour la premiere fois aussi lui fut revele le plaisir qu'on peut trouver
a table, non dans la gourmandise, mais dans un enchainement de petites
jouissances qu'elle ne soupconnait meme pas.
--J'ai voulu, dit son pere, ne vous donner, a ce premier dejeuner que
vous faites au chateau, que des produits de la propriete: l
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