es artichauts
viennent du potager, les oeufs de la basse-cour; ce saumon a ete pris
dans notre pecherie; le poulet qu'on va nous servir en blanquette a ete
eleve ici, le beurre et la creme de sa sauce ont ete donnes par nos
vaches; ce pain provient de ble cultive sur nos terres, moulu dans notre
moulin, cuit dans notre four; ce vin a ete recolte quand nos vignes
rapportaient encore; ces belles fraises si fraiches ont muri dans nos
serres...
--Mais c'est la vie patriarcale, cela! interrompit Anie.
--La seule logique; et, sous le regne de la chimie ou nous sommes
entres, la seule saine.
XIII
Apres le dejeuner, il proposa un tour dans les jardins et dans le parc,
mais madame Barincq se declara fatiguee par la nuit passee en chemin de
fer; d'ailleurs elle les connaissait, ces jardins, et les longues
promenades qu'elle y avait faites autrefois en compagnie de son
beau-frere, quand elle lui demandait son intervention contre leurs
creanciers, ne lui avaient laisse que de mauvais souvenirs.
--Moi, je ne suis pas fatiguee, dit Anie.
--Surtout, n'encourage pas ton pere dans ses folies, et ne te mets pas
avec lui contre moi.
--Veux-tu que nous commencions par les communs? dit-il en sortant.
--Puisque nous allons tout voir, commencons par ou tu voudras.
Ils etaient considerables, ces communs; ayant ete batis a une epoque ou
l'on construisait a bas prix, on avait fait grand, et les ecuries, les
remises, les etables, les granges, auraient suffi a trois ou quatre
terres comme celle d'Ourteau; tout cela, bien que n'etant guere utilise,
en tres bon etat de conservation et d'entretien.
En sortant des cours qui entourent ces batiments, ils traverserent les
jardins et descendirent aux prairies. Pour les proteger contre les
erosions du gave dont le cours change a chaque inondation, on ne coupe
jamais les arbres de leurs rives, et toutes les plantes aquatiques,
joncs, laiches, roseaux, massettes, sagittaires, les grandes herbes, les
buissons, les taillis d'osiers et de coudriers, se melent sous le
couvert des saules, des peupliers, des trembles, des aulnes, en une
vegetation foisonnante au milieu de laquelle les forts etouffent les
faibles dans la lutte pour l'air et le soleil. Malgre la solidite de
leurs racines, beaucoup de ces hauts arbres arraches par les grandes
crues qui, avec leurs eaux furieuses, roulent souvent des torrents de
galets, se sont penches ou se sont abattus de cote et d'autre, jetant
ainsi
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