ait travailler, et comme il
savait tout, les lettres, les sciences, le dessin, la musique, elle
n'avait pas besoin d'autres maitres; son education se poursuivait sans
qu'elle connut les tristesses et les degouts de la pension ou du
couvent.
Mais il etait arrive un moment ou les lecons paternelles ne suffisaient
plus; il fallait se preparer a gagner sa vie, et que ce qui avait ete
jusque-la agrement devint metier. Elle etait entree dans l'atelier
Julian, et chaque jour, par quelque temps qu'il fit, pluie, neige,
verglas, elle avait du descendre des hauteurs de Montmartre, par les
chemins glissants ou boueux, jusqu'au passage des Panoramas. Longue
etait la course, plus dure encore. Son pere la conduisait d'une main, la
couvrant de son parapluie ou la soutenant dans les escaliers, de l'autre
portant le petit panier dans lequel etait enveloppe le dejeuner qu'elle
mangerait a l'atelier: deux oeufs durs, ou bien une tranche de viande
froide, un morceau de fromage. Mais le soir, retenu bien souvent a son
bureau, il ne pouvait pas toujours la ramener; alors elle revenait
seule.
Quel souci et quelle inquietude pour un pere et une mere eleves avec des
idees bourgeoises, de savoir leur fille toute seule dans les rues de
Paris; et une jolie fille encore, qui tirait les regards des passants
autant par la seduction de ses vingt ans que par l'originalite de la
tenue qu'elle avait adoptee, sans que ni l'un ni l'autre eussent
l'energie de la lui interdire: une jupe un peu courte retenue par une
ceinture bleue qui, le noeud fait, retombait le long de ses plis, une
veste courte ouvrant sur un gilet, et pour coiffure un beret, ce beret
que Belmanieres lui avait reproche.
Sans doute, ce costume qui s'ecartait des banalites de la mode etait
bien original pour la rue, alors surtout que celle qui le portait ne
pouvait passer nulle part inapercue; mais comment le lui defendre! La
mere etait fiere de la voir ainsi habillee et trouvait qu'aucune fille
n'etait comparable a la sienne; le pere, emu. N'etait-ce pas, en effet,
a quelques modifications pres, pour le feminiser, le costume du pays
natal? quand il la regardait a quelques pas devant lui, svelte et
degagee, marcher avec la souplesse et la legerete qui sont un trait de
la race, son coeur s'emplissait de joie, et il ne pouvait pas la gronder
parce qu'elle etait fidele a son origine: il avait voulu qu'elle
s'appelat Anie qui etait depuis des siecles le nom des filles ainees
dans sa fami
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