cal abandonnait son pantalon
bleu et sa tunique verte pour enfiler une cotte de toile et une
longue blouse a laquelle des coups de soleil sans nombre et des
averses diluviennes (peut-etre meme antediluviennes) avaient donne
ce ton special qu'on ne trouve que sur le dos des pecheurs a la
ligne. Car Pascal pechait a la ligne, comme feu monseigneur le
prince de Ligne lui-meme.
Pas un homme comme lui pour connaitre les bons coins dans les
bassins et appater judicieusement, avec du ver de terre, de la
crevette cuite, de la crevette crue ou toute autre nourriture
traitresse.
Obligeant, avec cela, et ne refusant jamais ses conseils aux
debutants. Aussi avions-nous lie rapidement connaissance tous
deux.
Une chose m'intriguait chez lui c'etait l'espece de petite classe
qu'il trainait chaque jour a ses cotes trois garcons et deux
filles, tous differents de visage et d'age.
Ses enfants? Non, car le plus petit air de famille ne se
remarquait sur leur physionomie. Alors, sans doute, des petits
voisins.
Pascal installait les cinq momes avec une grande sollicitude, le
plus jeune tout pres de lui, l'aine a l'autre bout.
Et tout ce petit monde se mettait a pecher comme des hommes, avec
un serieux si comique que je ne pouvais les regarder sans rire.
Ce qui m'amusait beaucoup aussi, c'est la facon dont Pascal
designait chacun des gosses.
Au lieu de leur donner leur nom de bapteme, comme cela se pratique
generalement, Eugene, Victor ou Emile, il leur attribuait une
profession ou une nationalite.
Il y avait le Sous-inspecteur, la Norvegienne, le Courtier,
l'Assureur, et Monsieur l'abbe.
Le Sous-inspecteur etait l'aine, et Monsieur l'abbe le plus petit.
Les enfants, d'ailleurs, semblaient habitues a ces designations,
et quand Pascal disait: " Sous-inspecteur, va me chercher quatre
sous de tabac ", le Sous-inspecteur se levait gravement et
accomplissait sa mission sans le moindre etonnement.
Un jour, me promenant sur la greve, je rencontrai mon ami Pascal
en faction, les bras croises, la carabine en bandouliere, et
contemplant melancoliquement le soleil tout pret a se coucher, la-
bas, dans la mer.
-- Un joli spectacle, Pascal!
-- Superbe! on ne s'en lasserait jamais.
-- Seriez-vous poete?
-- Ma foi! non; je ne suis qu'un simple gabelou, mais ca n'empeche
pas d'admirer la nature.
Brave Pascal! Nous causames longuement et j'appris enfin l'origine
des appellations bizarres dont il affublait ses jeunes
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