'honneur mal a l'aise en son inhabituelle redingote, le militaire
(jamais de noce a Paris sans un militaire, parfois caporal).
Les chapeaux hauts de forme des noces bourgeoises ne recelaient
plus aucun mystere pour Vincent. Petits chapeaux a grands bords,
grands chapeaux a petits bords, troncs de cone, cylindres,
hyperboloides, il les connaissait tous et se trouvait ainsi le
seul homme de France qui put ecrire un essai serieux sur le haut-
de-forme a travers les ages.
Desflemmes adorait les noces; il les suivait jusqu'a l'eglise,
entrait dans le saint lieu, penetrait meme jusque dans la
sacristie et assistait, a la faveur du brouhaha, aux petites
scenes touchanto-comiques qui sont l'apanage des ceremonies
nuptiales.
A force d'assister a cette orgie de noces, Vincent avait fini par
remarquer un monsieur aussi amateur que lui de fetes hymeneennes:
un monsieur pas beau, ma foi, avec de vilains yeux, une sale
bouche, et un nez surabondamment eczemateux.
Ce monsieur devait posseder des relations sans nombre, car
Desflemmes le rencontrait a chaque instant, distribuant des
poignees de main et n'oubliant jamais d'embrasser la mariee.
-- Qui diable est-ce, ce bonhomme-la? monologuait Vincent. Dans
tous les cas, il a une sale gueule.
(Mon ami Desflemmes ne prend pas de gants pour se parler a lui-
meme.)
Un beau jour, le hasard le renseigna sur le monsieur a relations.
Le suisse de Saint-Germain-des-Pres causait avec le bedeau. Tu as
vu? disait le suisse; il est la...
-- Qui ca? demanda le bedeau.
-- L'embrasseur.
-- Ah!
-- Oui... Tiens, tu peux le voir d'ici, dans le choeur, a droite.
Vincent regarda dans la direction indiquee: l'embrasseur, c'etait
son bonhomme.
Avec beaucoup d'obligeance, et sur le glissement discret d'une
piece de quarante sous, le suisse paracheva ses renseignements.
L'embrasseur etait un maniaque, relativement inoffensif, dont le
faible consistait a embrasser le plus possible de jeunes mariees
en blanc. Muni d'un aplomb imperturbable, l'embrasseur
s'introduisait dans la sacristie. Les parents du marie se
disaient: " Ce doit etre un ami de la famille de la petite. " La
famille de la petite se tenait un raisonnement parallele.
L'embrasseur serrait la main du jeune homme, embrassait la petite,
et le tour etait joue.
Desflemmes se divertit fort de cette etrange manie, mais se jura
bien, au cas ou il se marierait, de ne pas laisser effleurer les
joues virginales de l'adoree p
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