vait voir les arbres du jardin et meme un peu de
ciel entre leurs branches. Pour un amateur de soleil, ce spectacle
n'etait pas indifferent. Mais tout de meme, c'etait la une revolution
dans la vie de famille et dans toute l'economie domestique. Ou plutot,
je ne m'y trompais pas, c'etait une abdication.
Je me connaissais en abdications. N'avais-je pas du apprendre dans mon
manuel celle des rois faineants, a qui l'on coupait la chevelure avant
de les enfermer dans un cloitre, et, malgre moi, je considerai les
jolis cheveux blancs de grand-pere qui bouclaient legerement. Surtout,
j'avais entendu reciter, par mon frere Bernard, l'histoire de Charles-
Quint dont j'avais ete fort impressionne. Ce maitre du monde, detache
de la grandeur, se retira dans un monastere d'Estramadure dont il
reparait les pendules, et pour se donner un avant-gout de la mort, il
fit celebrer, vivant, ses funerailles. Des historiens affoles de
verite m'ont affirme, depuis lors, que ces details etaient fictifs. Je
le regrette, car je ne les ai pas oublies, tandis qu'une innombrable
quantite de faits demontres me sont sortis de la memoire. Mais en ce
temps-la je croyais, dur comme fer, a la retraite de Charles-Quint,
aux obseques truquees et meme aux pendules. Grand-pere, lui aussi,
s'entendait a raccommoder les horloges et j'operai aussitot entre eux
un rapprochement.
Tante Dine, par hasard exacte, et ma mere, qui nous suivaient a peu de
distance, partagerent notre etonnement. Puis, tous les regards se
fixerent sur mon pere qui entrait. D'un coup d'oeil il jugea la
situation, et la decision, chez lui, ne se faisait guere attendre. Il
s'avanca d'un pas rapide:
--Non, non, dit-il, je ne veux pas. Rien ne doit etre change ici.
Pere, reprenez votre place, je vous en prie.
Certes, aucun de nous n'aurait resiste a cette priere qui ordonnait.
Mais la force agissante et organisatrice de mon pere se heurtait
devant nous a une autre force, dont je ne soupconnais pas la puissance
et qui etait l'immobilite. Grand-pere ne bougea pas. Il avait resolu
de ne pas bouger.
Mon pere, n'ayant pas obtenu de reponse, repeta plus doucement sa
demande. Je ne puis pas ecrire plus humblement, car il gardait en
toute occasion, malgre lui, un air de fierte. Il recut au visage un
eclat de l'eternel petit rire et cette phrase par surcroit:
--Oh! oh! que de bruit pour rien!
--Pere, donnez-moi cette preuve de votre affection.
--Une place ou une autre, qu'est-ce que
|