dantesque sur
des besognes obscures et utiles. La communaute de leur sort n'avait
pas reussi a les reconcilier. Ils s'observaient et se surveillaient
les uns les autres, mais tous trois observaient et surveillaient
davantage encore la maison. Que craignaient-ils d'en voir sortir? Je
le compris un jour. Mon pere, qui etait devenu leur patron,
s'approchait d'un pas rapide. Il leur distribua de bonnes paroles
d'encouragement, mais il examina leur ouvrage en connaisseur.
--Tout de meme il s'y entend, confessa Mimi avec admiration.
Je sus par Tem qu'apres les avoir sermonnes durement, il avait
augmente leur paie. Seulement il exigeait du bon travail. D'un mot, il
les ramenait a lui, s'ils renaclaient ou rechignaient devant la peine.
Mais, sans doute, il bouleversait toutes les vieilles habitudes d'un
pays ou l'on aimait a se laisser vivre et a baguenauder en buvant du
vin frais. C'est pourquoi Tem Bossette, principalement, regrettait
l'ancien regne des rois faineants ou il vivait, tranquille et oublie,
dans sa vigne.
Il avait bien essaye, devant moi, d'apitoyer grand-pere sur son sort:
--Mon ami, lui fut-il repondu, je ne suis plus rien ici: adressez-
vous ailleurs.
Jamais grand-pere ne se montra aussi gai que depuis son abdication.
Non, certes, il ne regrettait pas le pouvoir et il ignorait
volontairement tous les actes du nouveau regime. Parcourait-il le
royaume? Il ne semblait pas se douter qu'on y faisait fleurir les
cailloux. Et puis, un jour qu'il se promenait au jardin, je le vis qui
se lissait la barbe et se grattait le sourcil, temoignage de
mecontentement: il lanca en signe de mepris un jet de salive, et le
rire impertinent accompagna ces paroles incomprehensibles pour moi:
--Oh! oh! on met de l'ordre partout. Ce n'est pas un jardinier qu'il
faudrait, mais un geometre.
Que trouvait-il a blamer? Les parterres, les arbres, obeissant a la
main de l'homme, composaient un dessin d'une riche ordonnance. Mes
petites idees sur la vie s'y assemblaient et s'y disposaient avec plus
de bonheur. Et j'en voulais a grand-pere de son manque d'enthousiasme.
--Regardez, lui dis-je au hasard, ces beaux cannas rouges autour du
bassin.
Mais il me prit le bras avec une rudesse inattendue.
--Prends garde, mon petit, tu vas salir le gazon.
Je posais le pied, en effet, sur l'herbe qui bordait l'allee. Et je
vis bien que grand-pere se moquait de mon admiration en meme temps que
du nouveau jardin. Je me rappelai l'an
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