ien.
Je voyais venir le mois d'aout sans l'impatience que son prochain
retour me communiquait chaque annee, et meme j'en recevais quelque
egoiste regret. Avec les vacances, je perdrais la superiorite que ma
convalescence m'attribuait et je rentrerais dans la vie commune. Ou
plutot je pensais y rentrer, mesurant assez mal moi-meme le fosse qui
s'etait creuse entre le petit garcon que j'etais hier et celui que
j'etais devenu. Quelqu'un l'avait mesure avant moi.
Je me trouvais fort occupe entre mes promenades et mes stations au
Cafe des Navigateurs, ou grand-pere, qui ne pouvait plus se passer de
ma compagnie, m'emmenait regulierement. Bien que je fusse peu porte a
observer les faits et gestes des miens, je surprenais de nouveau a la
maison un etat d'inquietude et ces conciliabules secrets qui me
rappelaient le temps ou se debattait le sort du domaine.
La voix de mon pere s'entendait a distance, meme lorsqu'il la retenait
et croyait parler bas:
--Nous ne leur laisserons pas de fortune, disait-il. Ne negligeons
rien dans leur education. Il faut les armer pour la vie.
Nous armer? Pourquoi nous armer? Il n'y avait rien de plus facile que
la vie. J'avais renonce aux epees de bois, aux biographies heroiques,
aux recits d'epopee. Il me suffisait de quelques outils pour gratter
la terre qui fournit abondamment aux hommes tout ce dont ils ont
besoin. On recolte le necessaire, on se nourrit de fromage blanc, de
creme de lait et de fraises des bois, et l'on ecoute Martinod qui
preche la paix universelle et annonce l'age d'or. Que ce programme
etait simple! Des lors, a quoi bon des armes?
Et ma mere repondait a mon pere:
--Tu as raison. Nous ne devons rien negliger. Leur fortune, ce sera
leur foi et leur union.
Loin d'etre touche par ces declarations de principes, j'imaginais le
petit rire dont les accueillerait grand-pere et, en me peignant, le
matin, devant la glace, je dressais mon visage a prendre des
expressions moqueuses.
Dans les conversations que je surprenais sans le vouloir, revenaient
les noms des colleges ou lycees de Paris qui preparaient plus
specialement les jeunes gens aux grandes ecoles, Stanislas ou la rue
des Postes, Louis-le-Grand ou Saint-Louis. Mes parents preferaient un
etablissement religieux, en quoi tante Dine les approuvait violemment
:
--Pas d'ecole sans Dieu, affirma-t-elle. Tous les coquins sortent des
lycees.
--Oh! oh! protesta grand-pere que cette vehemence divertissait, j'en
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