mots:
--A la montagne.
Je devais, quelques annees plus tard, approcher et escalader nos
montagnes, celles qu'assiegent les pins et les melezes et celles dont
les glaces sont l'unique vegetation, celles que l'herbe tapisse et qui
sont douces comme une chair fleurie, celles qui sont tout en muscles
et en os comme des personnages de Michel-Ange, celles dont la
blancheur perfide ne sort de son immobilite qu'aux embrasements du
soleil couchant. Elles m'ont appris la patience, le calme et, peut-
etre aussi, le mepris, bien qu'un des plus durs preceptes chretiens
nous oblige a ne mepriser personne. La, j'ai rencontre et goute tour a
tour la guerre et la paix, la lutte et la serenite, l'enivrement de la
solitude et la gloire de la conquete dans l'aveuglante splendeur des
neiges. Elles ne m'ont rien donne qui ne fut contenu en germe dans la
reponse du patre...
A l'arrivee, quand nous ouvrimes le portail, Tem Bossette et ses deux
acolytes piochaient, le nez penche vers la terre. L'un d'eux nous
ayant signales, ils se reposerent d'un commun accord. Notre complicite
leur etait acquise.
Tante Dine me felicita de mes joues rouges, ma mere remercia grand-
pere de ses attentions. Mon pere me demanda:
--Es-tu content?
Et sur mon affirmation, il se rejouit. Personne ne soupconnait, et
moi-meme pas davantage, que ce petit garcon, jusqu'alors comble et qui
n'imaginait rien au dela de la maison, rapportait de sa promenade le
desir.
III
LA DECOUVERTE DE LA TERRE
Cette periode de ma vie est toute lumineuse dans mon souvenir. Il
semble plus tard que le soleil se soit un peu use. Je me promenais
matin et soir avec grand-pere, j'affermissais mes rapports avec la
nature et j'inaugurais un costume neuf. C'etait le premier;
jusqu'alors, je portais ceux de mes freres aines, qu'on rafistolait
pour moi. Une couturiere ajustait et raccommodait sur place les
vetements que l'on me destinait. Elle etait laide a souhait et
recommandee par Mlle Tapinois qui pensait l'avoir formee a son
ouvroir. Pendant ma maladie, j'avais grandi excessivement. Quelle ne
fut donc pas ma surprise quand je fus informe qu'un tailleur, un vrai
tailleur, viendrait prendre mes mesures, les miennes et non pas celles
d'Etienne ou de Bernard! Ce tailleur se nommait Plumeau. Tout en
hauteur comme un piquet, il flottait dans une immense redingote.
Voulut-il, comme Dieu lorsqu'il crea l'homme, me faire a son image et
a sa ressemblance? Il me composa un com
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