suis bien sorti.
Mais il recut son paquet sans retard:
--Tu ne vaux deja pas si cher.
Pour attenuer la rigueur de sa riposte, elle ajouta, il est vrai:
--Au moins, depuis que tu promenes le petit, tu es devenu bon a
quelque chose.
Mon pere, comme s'il cherchait toutes les occasions de rapprochement,
transforma en eloge cette constatation bourrue:
--Oui, Francois vous devra la sante. Et toutes ces belles promenades
ou vous le conduisez l'attacheront davantage au pays ou il vivra et
qu'il connaitra mieux.
Or, je me sentais parfaitement detache de mon pays et meme de la
maison. Ce que j'aimais, c'etait la terre, la terre vaste et innommee,
et non pas tel ou tel lieu, et surtout la terre libre de culture, la
terre sauvage des bois, des taillis, des retraites perdues et, a la
rigueur, des paturages, tout ce qui n'est pas laboure et ensemence.
Sur les hommes j'admettais le nouvel evangile de grand-pere qui les
cataloguait en paysans et citadins. A la campagne les braves gens,
tandis que les villes etaient habitees par de mechants individus et
notamment des bourgeois qui persecutent les hommes de genie, tels que
mes amis du cafe. Et dans les villes, il y avait des colleges ou l'on
vous mettait en esclavage.
Le regard de ma mere, pendant que je me livrais a ces reflexions, se
posa sur moi, et je crus qu'elle voyait mes pensees, car je rougis.
C'est la preuve que je n'ignorais pas ma secrete independance.
--Il s'est bien fortifie, dit-elle. Ne pourrait-il pas reprendre tout
doucement sa classe? On l'installerait au jardin. Il respirerait le
bon air et cependant ne demeurerait pas inactif. L'oisivete n'est
jamais bien bonne.
Je fus stupefait d'entendre ma mere emettre une si menacante
proposition, ma mere si attentive a ecarter de moi toute fatigue, si
experte a me soigner, si minutieuse dans sa surveillance. Decidement
les roles etaient renverses: mon pere avait paru prendre ombrage de
mes sorties avec grand-pere, et voila que maintenant il ne se
contentait pas de les autoriser, il les encourageait:
--Non, non, declara-t-il, une pleuresie est un mal trop grave. Il
risquerait encore de palir et de s'etioler. Vois comme il a belle
mine.
Et, en aparte, il ajouta:
--Mon pere est si content de son petit compagnon. Depuis qu'il en a la
charge, il est tout change et rajeuni. N'as-tu pas remarque?
Ma mere, qui d'habitude l'approuvait, ne manifesta pas son sentiment.
Je devinai qu'elle s'inquietait a mon
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