r mes
mains en me penchant sur le rebord. La caresse froide que je recevais
et le petit danger que je courais ou pensais courir me causaient une
sensation melangee, mais tres excitante.
Que pouvaient signifier ces brefs eclairs d'argent qui s'allumaient a
la surface pour s'eteindre aussitot? Autour de leur etincelle morte un
cercle naissait, qui s'elargissait en finissait par se perdre.
C'etaient les poissons qui venaient respirer. L'un d'eux, plus
rapproche, montra sa petite bouche et les ecailles luisantes de sa
tete. Je prenais contact avec un monde nouveau, le monde sous-marin.
Quand il soufflait un peu de vent, grand-pere me faisait asseoir au
fond du bateau, sur les planches qui etaient bien un peu mouillees. De
la, comme je n'etais pas haut, je n'apercevais plus guere que le ciel.
Je decouvrais mieux sa coupole et la vibration continue de l'ether aux
beaux jours. Immobile, tandis que grand-pere revait, j'etais heureux.
Je m'habituais a etre heureux excessivement, sans savoir pourquoi,
comme si l'existence n'avait pas de limites et pas de but.
Grand-pere se liait aussi avec des pecheurs qui posaient leurs filets.
--Ce sont de braves gens, m'assurait-il. Le lac, c'est comme la
campagne. En retirant l'homme des cites, ca le rapproche de l'heureux
etat de nature.
Par eux, nous connumes les moeurs de la truite, de la perche, du
vorace brochet et de l'ombre-chevalier dont la chair est savoureuse a
l'egal de la chair rose du saumon.
--Eh! eh! lui confia l'un de ces braves gens avec allegresse, tout mon
ombre est retenu par l'hotel Bellevue. On y bamboche le jour et la
nuit. Parlez-moi de ces clients-la.
Ainsi j'etais initie a la vie de la terre et de l'eau. Grand-pere
commencait de s'interesser a mes progres dans l'amitie de la nature.
Il tenait un disciple qu'il n'avait point cherche. Le premier,
maintenant, je tournais le dos a la ville, franchissais les barrieres,
traversais les champs, sans aucun soin des cultures. Il me traitait en
heritier, en infant digne d'etre un de ces rois faineants qui
possedent le monde. Et comme nous avions gravi peniblement, sous la
chaleur de juillet, un monticule d'ou l'on dominait la plaine, et la
foret et le lac, il se mit a rire du bon tour qu'il preparait:
--Tu sais, mon petit, on croit que je n'ai rien, et que je suis tout
pareil aux claque-patins qui se tortillent sur les routes avec un
baluchon dans le dos. Quelle plaisanterie! Il n'y a pas de
proprietaire plus
|