ecalcitrante. Mais qui pouvait bien etre ce Jean-Jacques?
Chez nous on avait renonce a utiliser les bons offices de Galurin a la
suite d'un grand diner ou il recut la charge des vins. On lui avait
recommande de les annoncer. Triomphalement il ouvrit la porte de la
salle a manger, eleva la bouteille en l'air et cria d'une voix de
stentor:
--J'annonce le Moulin-a-vent.
Sa nouvelle fut accueillie par un fou rire qui le vexa, car il etait
fort susceptible. Il quitta la serviette pour devenir porteur de
contraintes, titre coercitif un peu obscur et qui semble honorifique.
Pour augmenter ses ressources, il consentait a distribuer en ville les
billets de faire part quand un mariage ou un enterrement l'exigeait.
Une veille d'importantes funerailles, il s'oublia au Cafe des
Navigateurs, et tout le paquet de lettres de deuil demeura sur la
banquette. Quand il s'en apercut, il etait trop tard pour entreprendre
sa tournee. Adoptant aussitot la mesure radicale que les circonstances
commandaient, il courut noyer le tas compromettant dans les eaux du
lac. A la suite de cette immersion, le mort s'en alla presque seul
s'emparer de son dernier gite. Jamais on ne vit de si piteuses
obseques, et il y eut beaucoup de froissements parmi les parents et
amis qui n'avaient pas ete convoques et s'empresserent d'admettre
qu'on les avait omis sciemment et mechamment.
Galurin maudissait la societe qui l'obligeait a de vils commerces et
dont il transmettait les contraintes d'une facon fantaisiste et
intermittente. Par surcroit, il reclamait le partage des biens, car il
ne possedait rien en propre.
Mais celui qui eteignait tous les autres des qu'il s'emparait de la
tribune, celui qui excellait a imposer les contours arrondis de la
forme oratoire aux plaintes desordonnees de Glus et de Merinos et aux
revoltes incoherentes de Galurin, c'etait Martinod. Martinod, le plus
jeune de tous, avait le don exceptionnel de la gravite. Naturellement
solennel, il portait une longue barbe et ne riait jamais. On le voyait
tres bien sur un mausolee, annoncant le jugement dernier dans un
buccin. L'ennui qui emanait de toute sa personne le recouvrait du
prestige des pompes funebres dont le serieux est indeniable. Au
commencement, ce Martinod me deplaisait; il ne regardait jamais en
face, et je le soupconnais de tenebreux desseins. Mais j'avais subi,
comme tout le monde, la seduction de sa parole. Il debutait sur un ton
pleurard qui apitoyait. On l'aurait cru
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