cien instantanement, sous
l'influence de cette ironie, l'ancien pareil a un fouillis sauvage, ou
je pouvais fouler jusqu'aux plates-bandes, ou de rares fleurs
poussaient a la debandade, ou j'avais connu l'ivresse de la liberte.
Devant mon pere, jamais grand-pere ne se fut permis cette critique.
L'esprit attire sur leurs dissemblances, j'avais remarque la gene de
leurs rapports. Toujours mon pere faisait les avances. Il traitait
grand-pere avec une deference extreme, ne manquait point de s'informer
de sa sante, de ses promenades et meme, pour flatter sa petite manie
de meteorologie, il l'interrogeait sur le temps a venir. Grand-pere
repondait brievement, sans tenir le moins du monde a prolonger la
conversation qui ne tardait pas a tomber, ou bien il se servait de son
petit rire blessant, des qu'on abordait un sujet ou l'accord n'etait
plus certain.
Un jour, mon pere lui demanda en communication son livre de comptes
pour verifier, expliquait-il, certains memoires sur l'administration
de la propriete qui n'avaient pas encore ete regles et qui lui
paraissaient exageres. Grand-pere ouvrit de grands yeux:
--Mes livres de comptes?
--Sans doute.
--Je n'en ai jamais tenu.
Mon pere hesita une seconde.
--Bien, conclut-il simplement.
Et il s'en alla.
Grand-pere se complaisait dans sa tour, ou il s'arrangeait, pour sa
toilette, de la fameuse robe de chambre verte et du bonnet grec en
velours noir orne d'un gland de soie. Avec son telescope fixe sur un
trepied, il suivait, le jour, les bateaux qui sillonnaient les eaux du
lac, et le soir il rapprochait les etoiles, mais seulement celles qui
evoluent du cote du sud, parce que, des fenetres de sa chambre
precedente, il n'apercevait que cette partie du ciel et la connaissait
mieux. Bien plus souvent qu'autrefois, il descendait vers nous dans ce
costume d'astrologue, un monarque dechu ne tenant plus a la majeste.
Tante Dine obtenait a grand'peine qu'il s'accoutrat autrement pour se
promener en ville ou dans la campagne.
--Ca ne fait de mal a personne, observait-il.
Il consentait cependant, a force d'instances, a remplacer le bonnet
par un chapeau de feutre aux larges bords, et la robe par une
redingote qu'on frottait de benzine presque tous les jours pour la
tenir, malgre lui, en etat. De ses promenades il rapportait des
plantes aromatiques, dont il composait des tisanes ou qu'il
introduisait dans des flacons d'eau-de-vie, et des champignons qui
excitaient la m
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