gme. Le roi dechu, pare du mystere qu'il recevait d'une science
inconnue, recouvrait son prestige et meme reprenait, sans qu'il s'en
doutat, un peu d'empire sur mon esprit.
Je regardai tour a tour mon pere et mon grand-pere: mon pere a sa
place normale, occupe de nous tous, repandant autour de lui la paix et
l'ordre, et portant sur le visage accentue et surtout dans les yeux
percants le reflet de sa merveilleuse aptitude a commander; mon
grand-pere aux traits fins, presque feminins, malgre la grande barbe
blanche, aux yeux toujours un peu noyes de brume, frequemment
distrait, indifferent a son entourage, et plus volontiers interesse
par les arbres du jardin ou le morceau de ciel qu'il apercevait par la
fenetre. Et pour la premiere fois, je m'etonnai de les reconnaitre si
differents. Cette remarque, je ne l'avais jamais faite ou je ne m'en
etais pas inquiete. Elle me frappa si fort que je faillis l'exprimer
tout haut. Elle m'eut sans doute echappe si je n'avais redoute son
inconvenance. Un fils devait ressembler a son pere: aucun doute ne
pouvait exister a ce sujet. Ou bien, alors, ce n'etait pas la peine
d'etre le fils de quelqu'un. Et moi, a qui donc ressemblais-je?...
LIVRE II
I
LES IMAGES
Ces evenements, que je retrouve si frais dans mon imagination,
flotterent bientot et meme se perdirent momentanement dans le cours de
mes jours qui, pendant les vacances ou nous entrions, se mit a couler
a pleins bords comme un beau fleuve.
Mon pere, d'habitude, prenait ses vacances avec nous et en profitait
pour se rapprocher de nous davantage. Nous le vimes beaucoup moins
cette annee-la et nous fumes un peu sevres des recits heroiques dont
il nous regalait dans nos promenades, et qui nous agitaient d'un
furieux desir de livres des batailles et de remporter des victoires:
en l'ecoutant, nous relevions la tete, nos yeux brillaient, nous
marchions plus vite et d'un pas cadence. Pour faire face aux nouvelles
charges qu'il avait acceptees, il avait renonce a son repos annuel.
Parfois il s'emparait d'une apres-midi et tachait hativement de
retablir le contact avec nous. Ses malades le venaient relancer a
toute heure ou s'embusquaient sur son passage. Tout conspirait pour
nous l'arracher.
Cependant on devinait que sa direction s'exercait partout. La facade
de la maison se lezardait: on y posa des supports de fer avant de la
recrepir. Les chambres furent retapissees, la mienne avec de
plaisantes scenes de chats et de chie
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