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connaissais les lievres que pour en avoir mange en de rares et
fastueuses occasions, bien que tante Dine deplorat qu'on donnat du
civet aux enfants, a cause des serviettes et des joues maculees. De
nouveau le cri retentit, et cette fois plus pres de nous.
--Il appelle sa hase, m'expliqua grand-pere.
--Sa hase?
--Oui, sa femme. Tais-toi.
C'etait un doux appel, langoureux et tendre infiniment. De tres loin
nous parvint un appel semblable, a peine distinct. D'un bout a l'autre
du bois, le duo s'engageait. Et je pressentais que les betes, comme
les hommes, desirent de se voir et de se parler. Tout a coup, la,
devant moi, traversant l'allee, je vis deux longues oreilles et une
petite boule de corps brun qui semblait vouloir passer par-dessus. Sur
la lisiere le lievre s'arreta, attendit la voix lointaine qui le
guidait, poussa de nouveau sa plainte dechirante et se perdit dans les
taillis voisins. Il courait rejoindre sa compagne, mais j'avais eu le
temps de le bien examiner.
Une autre fois, ce fut un renard. De son museau pointu il dut nous
flairer, car il s'enfuit la queue dans les jambes, a toute allure.
Instruit par les fables de La Fontaine et par les _Scenes de la vie
des animaux_, je previns grand-pere que c'etait une ruse et qu'il
serait prudent de deguerpir.
--Tu es stupide, assura-t-il. Le renard est inoffensif.
De quoi je fus un peu scandalise. Mais nos promenades ne jouissaient
pas toujours d'un tel calme. De notre coin prefere, il nous arriva
d'entendre, comme une pluie d'orage, le galop d'un cheval, et nous
venions a peine de nous dissimuler savamment derriere le tronc d'un
fayard, que le colonel debucha sur sa monture. Il avait le nez court,
une moustache rude, des joues creuses. Il se tenait le buste droit, le
genou saillant, et ses yeux ne regardaient rien. Au passage, il me fit
l'effet d'un terrible homme. Grand-pere s'empressa de me rassurer:
--C'est une vieille bete, me dit-il, et son carcan ne sait plus
trotter.
L'un et l'autre, je l'ai su depuis, s'etaient battus a Reichsoffen.
Mais, dans une circonstance plus grave, grand-pere donna le signal de
la deroute. Je le vis tendre l'oreille a la maniere du lievre, puis se
lever en hate de l'herbe ou nous etions assis:
--Des chiens, murmura-t-il effraye. Allons-nous-en.
Nous gagnames le mur aussi vite que nous le permettaient ses jambes
vieillies et mes jambes trop neuves. Deja les chiens se ruaient sur
nous, aboyant et menacant, lor
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