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tempetes de l'automne. Aujourd'hui, quand je nomme Avignon,
j'evoque un spectre, et, de meme qu'Antoine, deployant le linceul
de Cesar, disait: "Voici le trou qu'a fait le poignard de Casca,
voici celui qu'a fait le glaive de Cassius, voici celui qu'a fait
l'epee de Brutus", je dis, moi, en voyant le suaire sanglant de la
ville papale: "Voila le sang des Albigeois; voila le sang des
Cevennois; voila le sang des republicains; voila le sang des
royalistes; voila le sang de Lescuyer; voila le sang du marechal
Brune."
Et je me sens alors pris d'une profonde tristesse, et je me mets a
ecrire; mais, des les premieres lignes, je m'apercois que, sans
que je m'en doutasse, le bureau de l'historien a pris, entre mes
doigts, la place de la plume du romancier.
Eh bien, soyons l'un et l'autre: lecteur, accordez les dix, les
quinze, les vingt premieres pages a l'historien; le romancier aura
le reste.
Disons donc quelques mots d'Avignon, lieu ou va s'ouvrir la
premiere scene du nouveau livre que nous offrons au public.
Peut-etre avant de lire ce que nous en dirons, est-il bon de jeter
les yeux sur ce qu'en dit son historien national, Francois
Nouguier.
"Avignon, dit-il, ville noble pour son antiquite, agreable pour
son assiette, superbe pour ses murailles, riante pour la fertilite
du sol, charmante pour la douceur de ses habitants, magnifique
pour son palais, belle pour ses grandes rues, merveilleuse pour la
structure de son pont, riche par son commerce, et connue par toute
la terre."
Que l'ombre de Francois Nouguier nous pardonne si nous ne voyons
pas tout a fait sa ville avec les memes yeux que lui.
Ceux qui connaissent Avignon diront qui l'a mieux vue de
l'historien ou du romancier.
Il est juste d'etablir avant tout qu'Avignon est une ville a part,
c'est-a-dire la ville des passions extremes; l'epoque des
dissensions religieuses qui ont amene pour elle les haines
politiques, remonte au douzieme siecle; les vallees du mont
Ventoux abriterent, apres sa fuite de Lyon, Pierre de Valdo et ses
Vaudois, les ancetres de ces protestants qui, sous le nom
d'Albigeois, couterent aux comtes de Toulouse et valurent a la
papaute les sept chateaux que Raymond VI possedait dans le
Languedoc.
Puissante republique gouvernee par des podestats, Avignon refusa
de se soumettre au roi de France. Un matin, Louis VIII -- qui
trouvait plus simple de se croiser contre Avignon, comme avait
fait Simon de Montfort, que pour Jerusalem, c
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