lait pas vous preoccuper de moi, je suis fort distrait; me
voici, monsieur.
Et, le sourire aux levres, les cheveux souleves par le vent du
soir, sans s'effacer, comme il eut fait dans une promenade
ordinaire, tandis qu'au contraire son adversaire prenait toutes
les precautions usitees en pareil cas, Roland marcha droit sur
M. de Barjols.
La physionomie de sir John, malgre son impassibilite ordinaire,
trahissait une angoisse profonde.
La distance s'effacait rapidement entre les deux adversaires.
M. de Barjols s'arreta le premier, visa et fit feu, au moment ou
Roland n'etait plus qu'a dix pas de lui.
La balle de son pistolet enleva une boucle des cheveux de Roland,
mais ne l'atteignit pas.
Le jeune homme se retourna vers son temoin.
-- Eh bien, demanda-t-il, que vous avais-je dit?
-- Tirez, monsieur, tirez donc! dirent les temoins.
M. de Barjols resta muet et immobile a la place ou il avait fait
feu.
-- Pardon, messieurs, repondit Roland; mais vous me permettrez, je
l'espere, d'etre juge du moment et de la facon dont je dois
riposter. Apres avoir essuye le feu de M. de Barjols, j'ai a lui
dire quelques paroles que je ne pouvais lui dire auparavant.
Puis, se retournant vers le jeune aristocrate, pale mais calme:
-- Monsieur, lui dit-il, peut-etre ai-je ete un peu vif dans notre
discussion de ce matin.
Et il attendit.
-- C'est a vous de tirer, monsieur, repondit M. de Barjols.
-- Mais, continua Roland comme s'il n'avait pas entendu, vous
allez comprendre la cause de cette vivacite et l'excuser peut-
etre. Je suis militaire et aide de camp du general Bonaparte.
-- Tirez, monsieur, repeta le jeune noble.
-- Dites une simple parole de retractation, monsieur, reprit le
jeune officier; dites que la reputation d'honneur et de
delicatesse du general Bonaparte est telle, qu'un mauvais proverbe
italien, fait par des vaincus de mauvaise humeur, ne peut lui
porter atteinte; dites cela, et je jette cette arme loin de moi,
et je vais vous serrer la main; car, je le reconnais, monsieur,
vous etes un brave.
-- Je ne rendrai hommage a cette reputation d'honneur et de
delicatesse dont vous parlez, monsieur, que lorsque votre general
en chef se servira de l'influence que lui a donnee son genie sur
les affaires de la France, pour faire ce qu'a fait Monk, c'est-a-
dire pour rendre le trone a son souverain legitime.
-- Ah! fit Roland avec un sourire, c'est trop demander d'un
general republicain.
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