selles veulent s'amuser
a ses depens et lui font croquer le marmot, tandis que peut-etre elles
sont retournees a leur demeure, ou elles rient de la credulite de la
pauvre femme qui les attend. Deja meme elle murmure entre ses dents et
se dispose a gagner sa cabane, lorsqu'elle apercoit un homme a cheval
qui l'aborde, inquiet, agite, et lui demande si elle n'aurait pas vu
passer deux jeunes personnes de douze a treize ans, simplement vetues et
accompagnees d'un vieux domestique. "Oui, repond la veuve, elles m'ont
fait accroire qu'el'z'allaient chercher mes chevres dans la foret; mais
j'vois bien qu'el'se sont gaussees d'moi, et qu'el'voulaient m'faire
passer la nuit a la belle etoile.--Elles en sont incapables, dit
l'inconnu (c'etait M. Germent lui-meme). Jamais les infortunes ne leur
ont inspire que le desir de leur etre utiles." Il fait alors plusieurs
questions a la vieille, qui lui raconte naivement tout ce qui s'etait
passe. "Je vois bien, se dit tout bas M. Germent, que l'imagination
frappee du trait touchant de Fenelon ... mais elles se seront sans doute
egarees dans ces bois; profitons du crepuscule qui luit encore pour
aller a leur secours." Il entre aussitot dans une grande allee de la
foret qu'il parcourt a bride abattue, et disparait a son tour.
Bientot la vieille chevriere croit entendre des cris de joie que
repetent les echos dans le lointain, et qui s'approchent par degres.
Bientot elle croit reconnaitre la voix d'une des deux inconnues,
s'ecriant: "Les voila!... les voila!..." Enfin elle entend
tres-distinctement le grelot que Gogo portait a son cou, et dont le son
fait vibrer de saisissement le coeur oppresse de la pauvre femme. "Je
n' m'etais donc point trompee, se dit-elle, et ces deux d'moiselles m'
ramenent mes excellentes betes?" A ces mots reparaissent a la lisiere du
bois Theonie et Clara, couvertes de sueur et tenant chacune une chevre
avec un mouchoir fortement attache a ses cornes. Leurs vetements etaient
dechires par les epines et les branches d'arbres, leurs chaussures ne
leur tenaient qu'a peine aux pieds; mais leur figure etait rayonnante de
cette inexprimable ivresse que produit une bonne action. Derriere elles
marchait le vieux Germain, se trainant avec effort, et touchant les
deux animaux avec une baguette de coudrier qu'il avait cueillie dans
la foret. Il voudrait bien gronder ses jeunes maitresses de leur
imprudence, de l'inquietude qu'elles doivent donner a leur digne pere
en rentran
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