si Raoul ecoutait-il beaucoup, et le jeune comte
racontait-il toujours. Eleve a Paris, ou Raoul n'etait venu qu'une
fois; a la cour que Raoul n'avait jamais vue, ses folies de page,
deux duels qu'il avait deja trouve moyen d'avoir malgre les edits
et surtout malgre son gouverneur, etaient des choses de la plus
haute curiosite pour Raoul. Raoul n'avait ete que chez M. Scarron;
il nomma a Guiche les personnes qu'il y avait vues. Guiche
connaissait tout le monde: madame de Neuillan, mademoiselle
d'Aubigne, mademoiselle de Scudery, mademoiselle Paulet, madame de
Chevreuse. Il railla tout le monde avec esprit; Raoul tremblait
qu'il ne raillat aussi madame de Chevreuse, pour laquelle il se
sentait une reelle et profonde sympathie; mais soit instinct, soit
affection pour la duchesse de Chevreuse, il en dit le plus grand
bien possible. L'amitie de Raoul pour le comte redoubla de ces
eloges.
Puis vint l'article des galanteries et des amours. Sous ce rapport
aussi, Bragelonne avait beaucoup plus a ecouter qu'a dire. Il
ecouta donc et il lui sembla voir a travers trois ou quatre
aventures assez diaphanes que, comme lui, le comte cachait un
secret au fond du coeur.
De Guiche, comme nous l'avons dit, avait ete eleve a la cour, et
les intrigues de toute cette cour lui etaient connues. C'etait la
cour dont Raoul avait tant entendu parler au comte de La Fere;
seulement elle avait fort change de face depuis l'epoque ou Athos
lui-meme l'avait vue. Tout le recit du comte de Guiche fut donc
nouveau pour son compagnon de voyage. Le jeune comte, medisant et
spirituel, passa tout le monde en revue; il raconta les anciennes
amours de madame de Longueville avec Coligny, et le duel de celui-
ci a la place Royale, duel qui lui fut si fatal, et que madame de
Longueville vit a travers une jalousie; ses amours nouvelles avec
le prince de Marcillac, qui en etait jaloux, disait-on, a vouloir
faire tuer tout le monde, et meme l'abbe d'Herblay, son directeur;
les amours de M. le prince de Galles avec Mademoiselle, qu'on
appela plus tard la grande Mademoiselle, si celebre depuis par son
mariage secret avec Lauzun. La reine elle-meme ne fut pas
epargnee, et le cardinal Mazarin eut sa part de raillerie aussi.
La journee passa rapide comme une heure. Le gouverneur du comte,
bon vivant, homme du monde, savant jusqu'aux dents, comme le
disait son eleve, rappela plusieurs fois a Raoul la profonde
erudition et la raillerie spirituelle et mordante d'Atho
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