demain devait etre le meme que celui des
positions prises la veille. Chacun en se reveillant se trouverait
sur le terrain ou il devait manoeuvrer.
Le mouvement s'executa dans le plus profond silence et avec la
plus grande precision. A dix heures, chacun tenait sa position, a
dix heures et demie, le prince parcourut les postes et donna
l'ordre du lendemain.
Trois choses etaient recommandees par-dessus toutes aux chefs, qui
devaient veiller a ce que les soldats les observassent
scrupuleusement. La premiere, que les differents corps se
regarderaient bien marcher, afin que la cavalerie et l'infanterie
fussent bien sur la meme ligne et que chacun gardat ses
intervalles.
La seconde, de n'aller a la charge qu'au pas.
La troisieme, de laisser tirer l'ennemi le premier.
Le prince donna le comte de Guiche a son pere et retint pour lui
Bragelonne; mais les deux jeunes gens demanderent a passer cette
nuit ensemble, ce qui leur fut accorde.
Une tente fut posee pour eux pres de celle du marechal. Quoique la
journee eut ete fatigante, ni l'un ni l'autre n'avaient besoin de
dormir.
D'ailleurs c'est une chose grave et imposante, meme pour les vieux
soldats, que la veille d'une bataille; a plus forte raison pour
deux jeunes gens qui allaient voir ce terrible spectacle pour la
premiere fois.
La veille d'une bataille, on pense a mille choses qu'on avait
oubliees jusque-la et qui vous reviennent alors a l'esprit. La
veille d'une bataille, les indifferents deviennent des amis, les
amis deviennent des freres.
Il va sans dire que si on a au fond du coeur quelque sentiment
plus tendre, ce sentiment atteint tout naturellement le plus haut
degre d'exaltation auquel il puisse atteindre.
Il faut croire que chacun des deux jeunes gens eprouvait quelque
sentiment car au bout d'un instant, chacun d'eux s'assit a une
extremite de la tente et se mit a ecrire sur ses genoux.
Les epitres furent longues, les quatre pages se couvrirent
successivement de lettres fines et rapprochees. De temps en temps
les deux jeunes gens se regardaient en souriant. Ils se
comprenaient sans rien dire; ces deux organisations elegantes et
sympathiques etaient faites pour s'entendre sans se parler.
Les lettres finies, chacun mit la sienne dans deux enveloppes, ou
nul ne pouvait lire le nom de la personne a laquelle elle etait
adressee qu'en dechirant la premiere enveloppe; puis tous deux
s'approcherent l'un de l'autre et echangerent leurs lettres e
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