e regarderent avec effroi.
-- Vous l'avez conduit pres du blesse?
-- Oui.
-- Vous avez eu le temps de le voir, alors?
-- Oui.
-- Et peut-etre le reconnaitriez-vous si jamais vous le
rencontriez?
-- Oh! oui, je le jure, dit Raoul.
-- Et moi aussi, dit de Guiche.
-- Eh bien! si vous le rencontrez jamais, dit Grimaud, quelque
part que ce soit, sur la grande route, dans la rue, dans une
eglise, partout ou il sera et ou vous serez, mettez le pied dessus
et ecrasez-le sans pitie, sans misericorde, comme vous feriez
d'une vipere, d'un serpent, d'un aspic; ecrasez-le et ne le
quittez que quand il sera mort; la vie de cinq hommes sera pour
moi en doute tant qu'il vivra.
Et sans ajouter une seule parole, Grimaud profita de l'etonnement
et de la terreur ou il avait jete ceux qui l'ecoutaient pour
s'elancer hors de l'appartement.
-- Eh bien! comte, dit Raoul en se retournant vers de Guiche, ne
l'avais-je pas bien dit que ce moine me faisait l'effet d'un
reptile!
Deux minutes apres on entendait sur la route le galop d'un cheval.
Raoul courut a la fenetre.
C'etait Grimaud qui reprenait la route de Paris. Il salua le
vicomte en agitant son chapeau et disparut bientot a l'angle du
chemin.
En route Grimaud reflechit a deux choses: la premiere, c'est qu'au
train dont il allait son cheval ne le menerait pas dix lieues.
La seconde, c'est qu'il n'avait pas d'argent.
Mais Grimaud avait l'imagination d'autant plus feconde qu'il
parlait moins.
Au premier relais qu'il rencontra il vendit son cheval, et avec
l'argent de son cheval il prit la poste.
XXXVII. La veille de la bataille
Raoul fut tire de ces sombres reflexions par l'hote, qui entra
precipitamment dans la chambre ou venait de se passer la scene que
nous avons racontee, en criant:
-- Les Espagnols! les Espagnols!
Ce cri etait assez grave pour que toute preoccupation fit place a
celle qu'il devait causer. Les jeunes gens demanderent quelques
informations et apprirent que l'ennemi s'avancait effectivement
par Houdin et Bethune.
Tandis que M. d'Arminges donnait les ordres pour que les chevaux,
qui se rafraichissaient, fussent mis en etat de partir, les deux
jeunes gens monterent aux plus hautes fenetres de la maison qui
dominaient les environs, et virent effectivement poindre du cote
de Hersin et de Lens un corps nombreux d'infanterie et de
cavalerie. Cette fois, ce n'etait plus une troupe nomade de
partisans, c'etait toute une armee.
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