ons comme tous les hommes a idees. Je ne
tenais pas assez compte des obstacles. Tout s'ecroulait sur moi, au
moment ou, plein de genie et de fierte, j'apportais la cle de voute a
mon edifice. Alors, crible de dettes, poursuivi, force de fuir, j'allais
cacher ailleurs la honte et le desespoir de ma defaite; mais, comme je
ne suis pas homme a me decourager, je cherchais dans le vin une force
factice, et quand un certain temps consacre a l'ivresse, a l'ivrognerie,
si vous voulez, m'avait rechauffe le coeur et l'esprit, j'entreprenais
autre chose. On m'a donc qualifie tres-genereusement en mille endroits
de _canaille_ et d'_abruti_, sans se douter le moins du monde que je
fusse par gout l'homme le plus sobre qui existat. Pour tomber dans cette
disgrace de l'opinion, il suffit de trois choses: etre pauvre, avoir
du chagrin, et rencontrer un de ses creanciers le jour ou l'on sort du
cabaret.
"J'etais trop fier pour rien demander a mon frere aine, apres avoir
essuye son premier refus. Je fus assez genereux pour ne pas le faire
rougir en reprenant mon nom et en parlant de lui et de son avarice.
J'oubliai meme avec un certain plaisir que j'etais un patricien pour
m'affermir dans la vie d'artiste, pour laquelle j'etais ne. Deux anges
m'assisterent sans cesse et me consolerent de tout, la mere de Celio et
ma fille. Honneur a ce sexe! il vaut mieux que nous par le coeur.
"J'etais a Vienne avec la Cecilia, il y a deux mois, lorsque je recus
une lettre qui me fit partir a l'heure meme. J'avais conserve en secret
des relations affectueuses avec un avocat de Briancon qui faisait les
affaires de mon frere. Dans cette lettre, il me donnait avis de l'etat
desespere ou se trouvait mon aine. Il savait qu'il n'existait pas de
titre qui put me desheriter. Il m'appelait chez lui, ou il me donna
l'hospitalite jusqu'a la mort du marquis, laquelle eut lieu deux jours
apres sans qu'une parole d'affection et de souvenir pour moi sortit de
ses levres. Il n'avait qu'une idee fixe, la peur de la mort. Ce qui
adviendrait apres lui ne l'occupait point.
"Des que je me vis en possession de mon titre et de mes biens, grace aux
conseils de mon digne ami, l'avocat de Briancon, je me tins coi, je fis
le mort; je ne revelai a personne ma nouvelle situation, et je restai
enferme, quasi cache dans mon chateau, sans faire savoir sous quel nom
j'avais ete connu ailleurs. Je continuerai a agir ainsi jusqu'a ce que
j'aie paye toutes les dettes que j'ai contract
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