it le visage altere. Camille Desmoulins, en
entendant prononcer l'arret, s'ecria: "Ah! c'est moi qui les tue, c'est
_mon Brissot devoile_[5]! Je m'en vais," dit-il; et il sort desespere. Les
accuses rentrent. En entendant prononcer le mot fatal de mort, Brissot
laisse tomber ses bras, sa tete se penche subitement sur sa poitrine;
Gensonne veut dire quelques mots sur l'application de la loi, mais il ne
peut se faire entendre. Sillery, en laissant echapper ses bequilles,
s'ecrie: _Ce jour est le plus beau de ma vie_. On avait concu quelques
esperances pour les deux jeunes freres Ducos et Fonfrede, qui avaient paru
moins compromis, et qui s'etaient attaches aux girondins, moins encore par
conformite d'opinion que par admiration pour leur caractere et leurs
talens. Cependant ils sont condamnes comme les autres. Fonfrede embrasse
Ducos en lui disant: "Mon frere, c'est moi qui te donne la
mort.--Console-toi, repond Ducos, nous mourrons ensemble." L'abbe Fauchet,
le visage baisse, semble prier le ciel, Carra conserve son air de durete,
Vergniaud a dans toute sa personne quelque chose de dedaigneux et de fier;
Lasource prononce ce mot d'un ancien: "Je meurs le jour ou le peuple a
perdu la raison; vous mourrez le jour ou il l'aura recouvree." Le faible
Boileau, le faible Gardien, ne sont pas epargnes. Boileau, en jetant son
chapeau en l'air, s'ecrie: "Je suis innocent.--Nous sommes innocens,
repetent tous les accuses; peuple, on vous trompe." Quelques-uns d'entre
eux ont le tort de jeter quelques assignats, comme pour engager la
multitude a voler a leur secours, mais elle reste immobile. Les gendarmes
les entourent alors pour les conduire dans leur cachot. Tout a coup l'un
des condamnes tombe a leurs pieds; ils le relevent noye dans son sang.
C'etait Valaze, qui, en donnant ses ciseaux a Riouffe, avait garde un
poignard, et s'en etait frappe. Le tribunal decide sur-le-champ que son
cadavre sera transporte sur une charrette, a la suite des condamnes. En
sortant du tribunal, ils entonnent tous ensemble, par un mouvement
spontane, l'hymne des Marseillais:
Contre nous de la tyrannie
L'etendard sanglant est leve.
Leur derniere nuit fut sublime. Vergniaud avait du poison, il le jeta pour
mourir avec ses amis. Ils firent en commun un dernier repas, ou ils furent
tour a tour gais, serieux, eloquens. Brissot Gensonne, etaient graves et
reflechis; Vergniaud parla de la liberte expirante avec les plus nobles
regrets, et de la de
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