ais capable d'y retourner. Oui, je l'ai cru en effet, et, dans les
premiers jours, j'ai ete tout a fait l'homme qu'elle devait ou qu'elle
pouvait aimer. Mais peu a peu l'indolence et la legerete de mon
caractere ont repris le dessus. La raison m'a fait de nouveau entendre
sa voix, et Sylvia m'a semble ce qu'elle est en effet, enthousiaste,
exageree, un peu folle.
Mais cette decouverte ne suffisait pas pour m'empecher de l'aimer a la
passion. L'exageration, qui rend les filles de province si ridicules,
rendait Sylvia si belle, si frappante, si inspiree, que c'est la
peut-etre son plus grand charme et sa plus puissante seduction. Mais
elle l'a recu de Dieu pour son malheur et pour celui de ses amants, car
elle peut se faire admirer, et ne peut persuader. Orgueilleuse jusqu'a
la folie, elle veut agir comme si nous etions encore au temps de l'age
d'or, et pretend que tous ceux qui osent la soupconner sont des laches
et des pervers. Du moment que j'ai vu avec inquietude la singularite de
sa conduite, et que j'ai pris de la jalousie a cause de la liberte de
ses demarches, j'ai donc ete perdu dans son esprit; et precipite de
cette region celeste ou elle m'avait fait asseoir avec elle, je suis
tombe dans le monde fangeux des humains, ou cette belle sylphide n'a
jamais daigne poser son pied d'ivoire. De ce moment, notre amour a ete
une suite de ruptures et de raccommodements. Je me souviens que tu m'as
dit, un jour que je te racontais tristement une de ces querelles
apres la reconciliation: "De quoi te plains-tu?" Ah! mon ami, tu peux
connaitre les femmes; mais tu ne connais pas Sylvia. Avec elle, le
moindre tort est de la plus terrible importance, et chaque nouvelle
faute creuse une tombe ou s'ensevelit une partie de son amour. Elle
pardonne, il est vrai; mais ce pardon est pire que sa colere. La colere
est violente est pleine d'emotion; le pardon de Sylvia est froid
et inexorable comme la mort. En proie a mille soupcons, tourmente,
incertain, tantot craignant d'etre dupe de la plus insigne coquette,
tantot craignant d'avoir outrage la plus pure des femmes, j'ai vecu
malheureux aupres d'elle, mais je n'ai jamais eu la force de m'en
detacher. Vingt fois elle m'a chasse, et vingt fois j'ai ete lui
demander ma grace apres avoir vainement essaye de vivre sans elle. Dans
les premiers jours de mon bannissement, j'esperais m'applaudir d'avoir
recouvre ma liberte et mon repos. Je me laissais aller delicieusement
au bien-etre de l'indi
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