tite personne
romanesque, facile a conquerir avec un baiser dans l'obscurite et un air
de hautbois. Je suis fachee a present de ne lui avoir pas parle pour
lui expliquer ma meprise et lui redemander mon bracelet. Peut-etre me
l'eut-il rendu. Mais j'ai perdu la tete, comme je fais toujours dans les
occasions ou un peu de sang-froid me serait necessaire. J'ai essaye de
savoir ce que Sylvia pense de cet homme. Elle pretend que je suis folle,
et qu'il n'y a point d'autre _homme_ dans la vallee que Jacques. Celui
que le jardinier a vu est, selon elle, un voleur de fruits; celui qui a
joue du hautbois, un comedien ambulant, ou bien un commis voyageur qui
aura couche a l'auberge du village, et se sera amuse a sauter le fosse
du jardin, afin de se vanter dans quelque estaminet d'avoir eu une
aventure romanesque dans son voyage. Quant a l'homme au coup de
cravache, elle persiste a dire que c'est un paysan; et je n'ose parler
de l'homme au bracelet, car l'idee qu'un commis voyageur ou un musicien
ambulant croit avoir recu ce gage de ma bienveillance, me cause une
mortification extreme.
Au fait, quant a cela, l'explication de Sylvia me parait assez
admissible; si je ne craignais de causer quelque malheur, je confierais
tout a Jacques, et il irait chatier cet impertinent comme il le merite.
Mais cet homme peut etre brave et habile duelliste. L'idee d'engager
Jacques dans une affaire de ce genre me fait dresser les cheveux sur la
tete. Je me tairai.
XXXIX.
D'OCTAVE A M. ***.
De la vallee de Saint-Leon.
Tu m'as souvent dit que j'etais fou, mon cher Herbert, et je commence a
le croire. Ce qu'il y a de certain, c'est que je suis fort content de
l'etre, car sans cela je serais fort malheureux.
Si tu veux savoir ou je suis et de quoi je suis occupe, j'aurai quelque
embarras a le repondre. Je suis dans un pays ou je n'ai jamais mis
le pied, que je ne connais pas, ou je n'ose marcher que sous un
deguisement. Quant a mes occupations, elles consistent a errer autour
d'un vieux chateau, a jouer du hautbois au clair de la lune, et a
recevoir de temps en temps un coup de cravache sur les doigts.
Tu as du etre peu surpris de mon brusque depart, quand tu auras su que
Sylvia avait quitte Geneve un mois auparavant. Tu auras suppose que
j'etais alle la rejoindre, et tu ne te seras pas trompe. Mais ce que tu
ne supposes certainement pas, c'est que, sans invitation et meme sans
permission, je me sois mis a courir sur ses traces. El
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