nne des marques d'un egoisme cruel, avait cependant
parfois d'exquises delicatesses de coeur. Mme de La Fayette, bon juge en
matiere de sentiment, le constate aussi dans ses Memoires: "Le roi, qui a
l'ame bonne, a une tendresse extraordinaire, surtout pour les femmes."
Avec son incontestable beaute de taille et de visage, sa douceur
majestueuse, le son de sa voix penetrante; avec cette courtoisie
chevaleresque, cette politesse exquise envers les femmes de tout rang,
cette supreme elegance de manieres et de langage, il aurait eu meme, comme
simple particulier, le don de se faire distinguer entre tous, "comme le
roi des abeilles[1]."
[Note 1: Saint-Simon, _Memoires_.]
C'etait un supreme artiste, qui jouait avec aisance et conviction son role
de roi; c'etait aussi un poete, qui aurait dit volontiers avec Alfred de
Musset:
Etre admire n'est rien, l'affaire est d'etre aime.
Poete en action, dont l'existence, faite pour frapper l'imagination de ses
sujets, se deroulait comme une serie non interrompue d'actes grandioses et
merveilleux; souverain epris de gloire et d'ideal, "qui se complaisait
dans l'admiration des grandes batailles, des actes d'heroisme et de
courage, dans les appareils guerriers, dans les operations du siege
savamment combinees, dans les terribles melees de la guerre et au milieu
des forets, dans le bruyant tumulte des grandes chasses[1]."
[Note 1: Walckenaer, _Memoires sur Mme de Sevigne_, t. V.]
Louis XIV, sur son lit de mort, s'accusait d'avoir trop aime la guerre; il
pouvait encore s'adresser beaucoup d'autres reproches sur sa vie passee,
mais on se tromperait en croyant que le plaisir y avait occupe la premiere
place. Pendant toute la duree de son regne, il ne cessa jamais de
travailler huit heures par jour. Il avait donc le droit d'ecrire, dans les
memoires destines a servir d'instruction a son fils, que, "pour un roi, ne
pas travailler, c'est de l'ingratitude et de l'audace a l'egard de Dieu,
de l'injustice et de la tyrannie a l'egard des hommes. Ces conditions,
disait-il, qui pourront quelquefois vous sembler rudes et facheuses dans
une si haute place, vous paraitraient douces et aisees, s'il s'agissait
d'y parvenir... Rien ne vous serait plus laborieux qu'une grande oisivete,
si vous aviez le malheur d'y tomber. Degoute premierement des affaires,
puis des plaisirs, vous seriez enfin degoute de l'oisivete elle-meme." Le
travail etait pour le Grand Roi une source de satisfactions incessantes
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