t alors en droit de te mepriser aussi
profondement que tu meprises aujourd'hui le monde des grands sauriens.
--A la bonne heure, repondis-je, si tout ce que je vois du passe doit
me faire aimer l'avenir, continuons a voir du nouveau.
--Et surtout, reprit la fee, ne le meprisons pas trop, ce passe, afin
de ne pas commettre l'ingratitude de mepriser le present. Quand le
grand esprit de la vie se sert des materiaux que je lui fournis,
il fait des merveilles des le premier jour. Regarde les yeux de ce
pretendu monstre que vos savants ont nomme l'ichthyosaure.
--Ils sont plus gros que ma tete et me font peur.
--Ils sont tres-superieurs aux tiens. Ils sont a la fois myopes et
presbytes a volonte. Ils voient la proie a des distances considerables
comme avec un telescope, et, quand elle est tout pres, par un simple
changement de fonction, ils la voient parfaitement a sa veritable
distance sans avoir besoin de lunettes. A ce moment de la creation,
la nature n'a qu'un but: faire un animal pensant. Elle lui donne des
organes merveilleusement appropries a ses besoins. C'est un joli
commencement: n'en es-tu pas frappee?--Il en sera ainsi, et de mieux
en mieux, de tous les etres qui vont succeder a ceux-ci. Ceux qui
te paraitront pauvres, laids ou chetifs seront encore des prodiges
d'adaptation au milieu ou ils devront se manifester.
--Et comme ceux-ci, ils ne songeront pourtant qu'a se nourrir?
--A quoi veux-tu qu'ils songent? La terre n'eprouve pas le besoin
d'etre admiree. Le ciel subsistera aujourd'hui et toujours sans que
les aspirations et les prieres des creatures ajoutent rien a son eclat
et a la majeste de ses lois. La fee de ta petite planete connait la
grande cause, n'en doute pas; mais, si elle est chargee de faire un
etre qui pressente ou devine cette cause, elle est soumise a la loi du
temps, cette chose dont vous ne pouvez pas vous rendre compte, parce
que vous vivez trop peu pour en apprecier les operations. Vous les
croyez lentes, et elles sont d'une rapidite foudroyante. Je vais
affranchir ton esprit de son infirmite et faire passer devant toi les
resultats de siecles innombrables. Regarde et n'ergote plus. Mets a
profit ma complaisance pour toi.
Je sentis que la fee avait raison et je regardai, de tous mes yeux,
la succession des aspects de la terre. Je vis naitre et mourir des
vegetaux et des animaux de plus en plus ingenieux par l'instinct et de
plus en plus agreables ou imposants par la forme. A me
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