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la compagnie, et vous auriez perdu cette curieuse histoire, si je ne
l'eusse transcrite fidelement pour vous, le soir meme. La voici telle
que je l'ai entendue. C'est notre ami qui parle:
* * * * *
Vous savez aussi bien que moi, mes chers amis, qu'on peut habiter
les bords de la mer et n'y manger de poissons, de crustaces et de
coquillages que lorsqu'on en demande a Paris. C'est la que tout
s'engouffre, et vous vous souvenez que, sur les rives de la Manche,
nous n'en goutions que quand les proprietaires des grands hotels de
bains en faisaient venir de la Halle. Bien que averti, je voulus, l'an
dernier, experimenter la chose par moi-meme. Je restai vingt-quatre
heures a Marennes avant d'obtenir une demi-douzaine d'huitres
mediocres que je payai fort cher. Ailleurs, je n'en obtins pas du
tout. Dans certains villages, on m'offrit des colimacons.
Enfin, je gagnai Cancale, ou les huitres etaient passables et le vin
blanc de l'auberge excellent. Je me trouvai a table a cote d'un tout
petit vieillard bossu, ratatine et sordidement vetu, qui me parut fort
laid et avec qui pourtant je liai conversation, parce qu'il me sembla
etre le seul qui attachat de l'importance a la qualite des huitres. Il
les examinait serieusement, les retournant de tous cotes.
--Est-ce que vous cherchez des perles? lui demandai-je.
--Non, repondit-il; je compare cette espece, ou plutot cette variete a
toutes celles que je connais deja.
--Ah! vraiment? vous etes amateur?
--Oui, monsieur; comme vous, sans doute?
--Moi? je voyage exclusivement pour les huitres.
--Bravo! nous pourrons nous entendre. Je me mets absolument a votre
service.
--Parfait! Avalons encore quelques-uns de ces mollusques et nous
causerons.--Garcon! apportez-nous encore quatre douzaines d'huitres.
--Voila, monsieur! dit le garcon en posant sur la table quatre
bouteilles de vin de Sauterne.
--Que voulez-vous que nous fassions de tout ce vin? demanda d'un ton
bourru le petit homme.
--Une bouteille par douzaine, est-ce trop? dit le garcon en me
regardant.
--On verra, repondis-je. Vos huitres sont diablement salees.
N'importe, pourvu qu'il y en ait a discretion...
Le garcon sortit. Je vidai une bouteille avec le petit vieux, qui me
parut ne pas se faire prier, du moment ou il comprit que je payais. Le
garcon rentra.
--Monsieur, dit-il, il n'y a plus d'huitres tres-grasses. Mais
monsieur n'a qu'a commander ce qu'il en
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