lait-il, il parlait de tout avec un semblant
de competence attachant et une clarte de vulgarisateur qui le faisait
fort apprecier des femmes du monde, a qui il rendait les services d'un
bazar roulant d'erudition. Il savait, en effet, beaucoup de choses,
sans avoir jamais lu que les livres indispensables; mais il etait
au mieux avec les cinq Academies, avec tous les savants, tous les
ecrivains, tous les erudits specialistes, qu'il ecoutait avec
discernement. Il savait oublier aussitot les explications trop
techniques ou inutiles a ses relations, retenait fort bien les autres,
et pretait a ces connaissances ainsi glanees un tour aise, clair et
bon enfant, qui les rendait faciles a comprendre comme des fabliaux
scientifiques. Il donnait l'impression d'un entrepot d'idees, d'un de
ces vastes magasins ou on ne rencontre jamais les objets rares, mais
ou tous les autres sont a foison, a bon marche, de toute nature, de
toute origine, depuis les ustensiles de menage jusqu'aux vulgaires
instruments de physique amusante ou de chirurgie domestique.
Les peintres, avec qui ses fonctions le laissaient en rapport
constant, le blaguaient et le redoutaient. Il leur rendait,
d'ailleurs, des services, leur faisait vendre des tableaux, les
mettait en relations avec le monde, aimait les presenter, les
proteger, les lancer, semblait se vouer a une oeuvre mysterieuse
de fusion entre les mondains et les artistes, se faisait gloire de
connaitre intimement ceux-ci, et d'entrer familierement chez ceux-la,
de dejeuner avec le prince de Galles, de passage a Paris, et de diner,
le soir meme, avec Paul Adelmans, Olivier Bertin et Amaury Maldant.
Bertin, qui l'aimait assez, le trouvant drole, disait de lui: "C'est
l'encyclopedie de Jules Verne, reliee en peau d'ane!"
Les deux hommes se serrerent la main, et se mirent a parler de la
situation politique, des bruits de guerre que Musadieu jugeait
alarmants, pour des raisons evidentes qu'il exposait fort bien,
l'Allemagne ayant tout interet a nous ecraser et a hater ce moment
attendu depuis dix-huit ans par M. de Bismarck; tandis qu'Olivier
Bertin prouvait, par des arguments irrefutables, que ces craintes
etaient chimeriques, l'Allemagne ne pouvant etre assez folle pour
compromettre sa conquete dans une aventure toujours douteuse, et le
Chancelier assez imprudent pour risquer, aux derniers jours de sa vie,
son oeuvre et sa gloire d'un seul coup.
M. de Musadieu, cependant, semblait savoir des choses
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