iees, perdues dans le vent, reviennent chanter sous la porte
ebranlee avec le charme d'un refrain... L'heure exquise, c'est le
crepuscule, un peu avant que les chasseurs n'arrivent. Alors le vent
s'est calme. Je sors un moment. En paix le grand soleil rouge descend,
enflamme, sans chaleur. La nuit tombe, vous frole en passant de son aile
noire tout humide. La-bas, au ras du sol, la lumiere d'un coup de feu
passe avec l'eclat d'une etoile rouge avivee par l'ombre environnante.
Dans ce qui reste de jour, la vie se hate. Un long triangle de canards
vole tres bas, comme s'ils voulaient prendre terre; mais tout a coup la
cabane, ou le _caleil_ est allume, les eloigne: celui qui tient la tete
de la colonne dresse le cou, remonte, et tous les autres derriere lui
s'emportent plus haut avec des cris sauvages.
Bientot un pietinement immense se rapproche, pareil a un bruit de pluie.
Des milliers de moutons, rappeles par les bergers, harceles par les
chiens, dont on entend le galop confus et l'haleine haletante, se
pressent vers les parcs, peureux et indisciplines. Je suis envahi,
frole, confondu dans ce tourbillon de laines frisees, de belements; une
houle veritable ou les bergers semblent portes avec leur ombre par des
flots bondissants... Derriere les troupeaux, voici des pas connus, des
voix joyeuses. La cabane est pleine, animee, bruyante. Les sarments
flambent. On rit d'autant plus qu'on est plus las. C'est un
etourdissement d'heureuse fatigue, les fusils dans un coin, les grandes
bottes jetees pele-mele, les carniers vides, et a cote les plumages
roux, dores, verts, argentes, tout taches de sang. La table est mise;
et dans la fumee d'une bonne soupe d'anguilles, le silence se fait,
le grand silence des appetits robustes, interrompu seulement par les
grognements feroces des chiens qui lapent leur ecuelle a tatons devant
la porte...
La veillee sera courte. Deja pres du feu, clignotant lui aussi, il ne
reste plus que le garde et moi. Nous causons, c'est-a-dire nous nous
jetons de temps en temps l'un a l'autre des demi-mots a la facon des
paysans, de ces interjections presque indiennes, courtes et vite
eteintes comme les dernieres etincelles des sarments consumes. Enfin le
garde se leve, allume sa lanterne, et j'ecoute son pas lourd qui se perd
dans la nuit...
III
A L'ESPERE! (A L'AFFUT!)
L'_espere!_ quel joli nom pour designer l'affut, l'attente du chasseur
embusque, et ces heures indecises ou tout attend, _esper
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