e_, hesite entre
le jour et la nuit. L'affut du matin un peu avant le lever du soleil,
l'affut du soir au crepuscule. C'est ce dernier que je prefere, surtout
dans ces pays marecageux ou l'eau des _clairs_ garde si longtemps la
lumiere...
Quelquefois on tient l'affut dans le _negochin_ (le naye-chien), un tout
petit bateau sans quille etroit, roulant au moindre mouvement. Abrite
par les roseaux, le chasseur guette les canards du fond de sa barque,
que depassent seulement la visiere d'une casquette, le canon du fusil et
la tete du chien flairant le vent, happant les moustiques, ou bien de
ses grosses pattes etendues penchant tout le bateau d'un cote et
le remplissant d'eau. Cet affut-la est trop complique pour mon
inexperience. Aussi, le plus souvent, je vais a l'_espere_ a pied,
barbotant en plein marecage avec d'enormes bottes taillees dans toute la
longueur du cuir. Je marche lentement, prudemment, de peur de m'envaser.
J'ecarte les roseaux pleins d'odeurs saumatres et de sauts de
grenouilles...
Enfin, voici un ilot de tamaris, un coin de terre seche ou je
m'installe. Le garde, pour me faire honneur, a laisse son chien avec
moi; un enorme chien des Pyrenees a grande toison blanche, chasseur
et pecheur de premier ordre, et dont la presence ne laisse pas que de
m'intimider un peu. Quand une poule d'eau passe a ma portee, il a une
certaine facon ironique de me regarder en rejetant en arriere, d'un coup
de tete a l'artiste, deux longues oreilles flasques qui lui pendent dans
les yeux; puis des poses a l'arret, des fretillements de queue, toute
une mimique d'impatience pour me dire:
--Tire... tire donc!
Je tire, je manque. Alors, allonge de tout son corps, il baille et
s'etire d'un air las, decourage, et insolent...
Eh bien! oui, j'en conviens, je suis un mauvais chasseur. L'affut, pour
moi, c'est l'heure qui tombe, la lumiere diminuee, refugiee dans l'eau,
les etangs qui luisent, polissant jusqu'au ton de l'argent fin la
teinte grise du ciel assombri. J'aime cette odeur d'eau, ce frolement
mysterieux des insectes dans les roseaux, ce petit murmure des longues
feuilles qui frissonnent. De temps en temps, une note triste passe, et
roule dans le ciel comme un ronflement de conque marine. C'est le
butor qui plonge au fond de l'eau son bec immense d'oiseau-pecheur et
souffle... rrrououou! Des vols de grues filent sur ma tete. J'entends
le froissement des plumes, l'ebouriffement du duvet dans l'air vif, et
jusqu'au
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