res tout, le scandale n'a pas ete aussi grand que
vous pensez. Il y a bien eu la chanson qui etait un peu... hum! hum!...
Enfin il faut esperer que les novices ne l'auront pas entendue... A
present, voyons, dites-moi bien comment la chose vous est arrivee...
C'est en essayant l'elixir, n'est-ce pas? Vous aurez eu la main trop lourde...
Oui, oui, je comprends... C'est comme le frere Schwartz, l'inventeur de
la poudre: vous avez ete victime de votre invention... Et dites-moi,
mon brave ami, est-il bien necessaire que vous l'essayiez sur vous-meme,
ce terrible elixir?
--Malheureusement, oui, Monseigneur... l'eprouvette me donne bien la
force et le degre de l'alcool; mais pour le fini, le veloute, je ne me
fie guere qu'a ma langue...
--Ah! tres bien... Mais ecoutez encore un peu que je vous dise...
Quand vous goutez ainsi l'elixir par necessite, est-ce que cela vous
semble bon? Y prenez-vous du plaisir?...
--Helas! oui, Monseigneur, fit le malheureux Pere en devenant tout
rouge... Voila deux soirs que je lui trouve un bouquet, un arome!...
C'est pour sur le demon qui m'a joue ce vilain tour... Aussi je suis
bien decide desormais a ne plus me servir que de l'eprouvette. Tant
pis si la liqueur n'est pas assez fine, si elle ne fait pas assez la
perle...
--Gardez-vous-en bien, interrompit le prieur avec vivacite. Il ne faut
pas s'exposer a mecontenter la clientele... Tout ce que vous avez a
faire maintenant que vous voila prevenu, c'est de vous tenir sur vos
gardes... Voyons, qu'est-ce qu'il vous faut pour vous rendre compte?...
Quinze ou vingt gouttes, n'est-ce pas?... mettons vingt gouttes...
Le diable sera bien fin s'il vous attrape avec vingt gouttes...
D'ailleurs, pour prevenir tout accident, je vous dispense dorenavant de
venir a l'eglise. Vous direz l'office du soir dans la distillerie... Et
maintenant, allez en paix, mon Reverend, et surtout... comptez bien vos
gouttes.
Helas! le pauvre Reverend eut beau compter ses gouttes... le demon le
tenait, et ne le lacha plus.
C'est la distillerie qui entendit de singuliers offices!
* * * * *
Le jour, encore, tout allait bien. Le Pere etait assez calme: il
preparait ses rechauds, ses alambics, triait soigneusement ses herbes,
toutes herbes de Provence, fines, grises, dentelees, brulees de parfums
et de soleil... Mais, le soir, quand les simples etaient infuses et que
l'elixir tiedissait dans de grandes bassines de cuivre rouge, le
|