nte baraque de cantonnier, une terre inculte herissee de palmiers
nains et de lentisques. Tout a creer, tout a construire. A chaque
instant des revoltes d'Arabes. Il fallait laisser la charrue pour faire
le coup de feu. Ensuite les maladies, les ophtalmies, les fievres, les
recoltes manquees, les tatonnements de l'inexperience, la lutte avec
une administration bornee, toujours flottante. Que d'efforts! Que de
fatigues! Quelle surveillance incessante!
Encore maintenant, malgre les mauvais temps finis et la fortune si
cherement gagnee, tous deux, l'homme et la femme, etaient les premiers
leves a la ferme. A cette heure matinale je les entendais aller et venir
dans les grandes cuisines du rez-de-chaussee, surveillant le cafe des
travailleurs. Bientot une cloche sonna, et au bout d'un moment les
ouvriers defilerent sur la route. Des vignerons de Bourgogne; des
laboureurs kabyles en guenilles, coiffes d'une chechia rouge; des
terrassiers mahonnais, les jambes nues; des Maltais; des Lucquois; tout
un peuple disparate, difficile a conduire. A chacun d'eux le fermier,
devant la porte, distribuait sa tache de la journee d'une voix breve, un
peu rude. Quand il eut fini, le brave homme leva la tete, scruta le ciel
d'un air inquiet; puis m'apercevant a la fenetre:
--Mauvais temps pour la culture, me dit-il... voila le siroco.
En effet, a mesure que le soleil se levait, des bouffees d'air,
brulantes, suffocantes, nous arrivaient du sud comme de la porte d'un
four ouverte et refermee. On ne savait ou se mettre, que devenir. Toute
la matinee se passa ainsi. Nous primes du cafe sur les nattes de la
galerie, sans avoir le courage de parler ni de bouger. Les chiens
allonges, cherchant la fraicheur des dalles, s'etendaient dans des poses
accablees. Le dejeuner nous remit un peu, un dejeuner plantureux et
singulier ou il y avait des carpes, des truites, du sanglier, du
herisson, le beurre de Staoueli, les vins de Crescia, des goyaves, des
bananes, tout un depaysement de mets qui ressemblait bien a la nature si
complexe dont nous etions entoures... On allait se lever de table. Tout
a coup, a la porte-fenetre fermee pour nous garantir de la chaleur du
jardin en fournaise, de grands cris retentirent:
--Les criquets! les criquets!
Mon hote devint tout pale comme un homme a qui on annonce un desastre,
et nous sortimes precipitamment. Pendant dix minutes, ce fut dans
l'habitation, si calme tout a l'heure, un bruit de pas precipites, de
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