egerement sceptique et
irreverencieuse, a la facon d'un conte d'Erasme ou de d'Assoucy:
* * * * *
--Il y a vingt ans, les Premontres, ou plutot les Peres blancs, comme
les appellent nos Provencaux, etaient tombes dans une grande misere. Si
vous aviez vu leur maison de ce temps-la, elle vous aurait fait peine.
Le grand mur, la tour Pacome, s'en allaient en morceaux. Tout autour du
cloitre rempli d'herbes, les colonnettes se fendaient, les saints de
pierre croulaient dans leurs niches. Pas un vitrail debout, pas une
porte qui tint. Dans les preaux, dans les chapelles, le vent du Rhone
soufflait comme en Camargue, eteignant les cierges, cassant le plomb des
vitrages, chassant l'eau des benitiers. Mais le plus triste de tout,
c'etait le clocher du couvent, silencieux comme un pigeonnier vide; et
les Peres, faute d'argent pour s'acheter une cloche, obliges de sonner
matines avec des cliquettes de bois d'amandier!...
Pauvres Peres blancs! Je les vois encore, a la procession de la
Fete-Dieu, defilant tristement dans leurs capes rapiecees, pales,
maigres, nourris de _citres_ et de pasteques, et derriere eux
monseigneur l'abbe, qui venait la tete basse, tout honteux de montrer au
soleil sa crosse dedoree et sa mitre de laine blanche mangee des vers.
Les dames de la confrerie en pleuraient de pitie dans les rangs, et les
gros porte-banniere ricanaient entre eux tout bas en se montrant les
pauvres moines:
--Les etourneaux vont maigres quand ils vont en troupe.
Le fait est que les infortunes Peres blancs en etaient arrives eux-memes
a se demander s'ils ne feraient pas mieux de prendre leur vol a travers
le monde et de chercher pature chacun de son cote.
Or, un jour que cette grave question se debattait dans le chapitre, on
vint annoncer au prieur que le frere Gaucher demandait a etre entendu au
conseil... Vous saurez pour votre gouverne que ce frere Gaucher etait
le bouvier du couvent; c'est-a-dire qu'il passait ses journees a rouler
d'arcade en arcade dans le cloitre, en poussant devant lui deux vaches
etiques qui cherchaient l'herbe aux fentes des paves. Nourri jusqu'a
douze ans par une vieille folle du pays des Baux, qu'on appelait tante
Begon, recueilli depuis chez les moines, le malheureux bouvier n'avait
jamais pu rien apprendre qu'a conduire ses betes et a reciter son _Pater
noster_; encore le disait-il en provencal, car il avait la cervelle dure
et l'esprit comme une dague de plo
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