nous voici en pleine Camargue sauvage.
A perte de vue, parmi les paturages, des marais, des roubines, luisent
dans les salicornes. Des bouquets de tamaris et de roseaux font des
ilots comme sur une mer calme. Pas d'arbres hauts. L'aspect uni,
immense, de la plaine, n'est pas trouble. De loin en loin, des parcs de
bestiaux etendent leurs toits bas presque au ras de terre. Des troupeaux
disperses, couches dans les herbes salines, ou cheminant serres autour
de la cape rousse du berger, n'interrompent pas la grande ligne
uniforme, amoindris qu'ils sont par cet espace infini d'horizons bleus
et de ciel ouvert. Comme de la mer unie malgre ses vagues, il se degage
de cette plaine un sentiment de solitude, d'immensite, accru encore
par le mistral qui souffle sans relache, sans obstacle, et qui, de son
haleine puissante, semble aplanir, agrandir le paysage. Tout se courbe
devant lui. Les moindres arbustes gardent l'empreinte de son passage,
en restent tordus, couches vers le sud dans l'attitude d'une fuite
perpetuelle...
II
LA CABANE.
Un toit de roseaux, des murs de roseaux desseches et jaunes, c'est la
cabane. Ainsi s'appelle notre rendez-vous de chasse. Type de la maison
camarguaise, la cabane se compose d'une unique piece, haute, vaste, sans
fenetre, et prenant jour par une porte vitree qu'on ferme le soir avec
des volets pleins. Tout le long des grands murs crepis, blanchis a la
chaux, des rateliers attendent les fusils, les carniers, les bottes de
marais. Au fond, cinq ou six berceaux sont ranges autour d'un vrai mat
plante au sol et montant jusqu'au toit auquel il sert d'appui. La nuit,
quand le mistral souffle et que la maison craque de partout, avec la mer
lointaine et le vent qui la rapproche, porte son bruit, le continue en
l'enflant, on se croirait couche dans la chambre d'un bateau.
Mais c'est l'apres-midi surtout que la cabane est charmante. Par nos
belles journees d'hiver meridional, j'aime rester tout seul pres de la
haute cheminee ou fument quelques pieds de tamaris. Sous les coups du
mistral ou de la tramontane, la porte saute, les roseaux crient, et
toutes ces secousses sont un bien petit echo du grand ebranlement de la
nature autour de moi. Le soleil d'hiver fouette par l'enorme courant
s'eparpille, joint ses rayons, les disperse. De grandes ombres courent
sous un ciel bleu admirable. La lumiere arrive par saccades, les bruits
aussi; et les sonnailles des troupeaux entendues tout a coup, puis
oubl
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