que vive, continua a crier, a appeler Frederic,
a courir de tous cotes, cherchant dans les greniers, dans les granges,
dans les etables, les ecuries, les bergeries. Son amie l'escortait,
criant plus fort qu'elle, et lui donnant des consolations qui
redoublaient le desespoir de Mme Bonard.
"Ah! ils l'auront egorge... ou plutot etouffe, car on ne voit de sang
nulle part... Quand je vous disais que ces chemineaux, c'etaient des
demons, des satans, des riens du tout, des gueux, des gredins!... Et
voyez cette malice! ils l'auront jete a l'eau ou enfoui quelque part
pour qu'il ne parle pas."
Apres avoir couru, cherche partout, les consolations de Mme Blondel
produisirent leur effet oblige; Mme Bonard, apres s'etre epuisee en
cris inutiles, fut prise d'une attaque de nerfs, que son amie chercha
vainement a combattre par des seaux d'eau sur la tete, par des tapes
dans les mains, par des plumes brulees sous le nez; enfin, voyant ses
efforts inutiles, elle reprit son premier exercice, elle poussa des cris
a reveiller un mort. La force de ses poumons finit par lui amener du
secours; Bonard, qui revenait tout doucement de la foire apres avoir
bien, tres bien vendu ses bestiaux, entendit le puissant appel de Mme
Blondel; fort effraye, il pressa le pas et entra hors d'haleine dans la
maison. Peu s'en fallut qu'il ne joignit ses cris a ceux de Mme Blondel;
sa femme etait etendue par terre dans une mare d'eau, le visage noirci
et brule, les membres agites par des mouvements nerveux. Mais Bonard
etait homme: il agissait au lieu de crier; il releva sa femme, l'essuya
de son mieux, la coucha sur son lit, lui enleva ses vetements mouilles,
lui frotta les tempes et le front avec du vinaigre, et la vit enfin se
calmer et revenir a elle.
Mme Bonard ouvrit les yeux, reconnut son mari et sanglota de plus belle.
BONARD.--Qu'as-tu donc, ma femme ma bonne chere femme?
MADAME BONARD.--Frederic, Frederic! ils l'ont assassine, egorge,
etrangle, enfoui dans un fosse.
BONARD, _avec surprise_.--Frederic! Assassine, etrangle! Mais
qu'est-ce que tu dis donc? Je viens de le quitter riant comme un
bienheureux dans un theatre de farces, en compagnie de Julien, de M.
Georgey et, ce que j'aime moins, d'Alcide; mais M. Georgey a voulu les
regaler tous et leur faire tout voir.
MADAME BONARD, _joignant les mains_.--Dieu soit loue! Dieu soit
beni! Mon bon Jesus, ma bonne sainte Vierge, je vous remercie! Je
croyais que les voleurs l'avaient tue.
B
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