REDERIC.--Mais c'est abominable, ca! Apres avoir vole Julien, tu fais
une vilaine chose et tu veux la rejeter sur ce pauvre garcon?
ALCIDE.--Tu m'ennuies avec tes sottes pities, et tu es bete comme un
oison. D'abord l'Anglais, qui est un imbecile fieffe, ne pensera pas a
compter son argent; il croira qu'il a tout depense ou qu'il a perdu ses
pieces par un trou que j'ai eu soin de lui faire au fond de sa poche.
Et s'il se plaint, on lui dira que c'est Julien qui aura cede a la
tentation; on fouillera dans les habits de Julien, on trouvera les
pieces d'or; l'Anglais, qui l'aime, ne dira plus rien: il emmenera son
_povre petite Juliene_, et on n'y pensera plus.
FREDERIC.--Mais mon pere et ma mere y penseront, et ils croiront que
Julien est un voleur.
ALCIDE.--Qu'est-ce que cela te fait? Ce Julien est un petit drole, c'est
ton plus grand ennemi; il travaille a prendre ta place dans la maison et
a t'en faire chasser. Crois bien ce que je te dis. Tu le verras avant
peu.
FREDERIC.--Comment? Tu crois que Julien...?
ALCIDE.--Je ne crois pas, j'en suis sur. C'est un vrai service d'ami
que je te rends... Mais parlons d'autre chose. As-tu envie d'avoir une
montre?
FREDERIC.--Je crois bien! Une montre! C'est qu'il faut beaucoup d'argent
pour avoir une montre! Et toi-meme, tu n'en as pas, malgre tout ce que
tu as chipe a tes parents et a d'autres.
ALCIDE.--Je n'en ai pas parce que je n'ai jamais eu une assez grosse
somme a la fois. Mais a present que nous avons de quoi, il faut que
chacun de nous ait une montre. Allons chez un cousin horloger que je
connais.
FREDERIC.--Mais si on nous voit des montres, on nous demandera qui nous
les a donnees.
ALCIDE.--Eh bien, la reponse est facile. Le bon Anglais, l'excellent M.
Georgey.
FREDERIC.--Et si on le lui demande a lui-meme?
ALCIDE.--Est-ce qu'il sait ce qu'il fait, ce qu'il donne? D'ailleurs il
ne comprendra pas, ou bien on ne le comprendra pas.
FREDERIC.--J'ai peur que tu ne me fasses faire une mauvaise chose et
qui n'est pas sans danger, car si nous sommes decouverts, nous sommes
perdus.
ALCIDE, _ricanant_.--Tu as toujours peur, toi. Tu as pres de
dix-sept ans, et tu es comme un enfant de six ans qui craint d'etre
fouette. Est-ce qu'on te fouette encore?
--Non, certainement, repondit Frederic d'un air pique. Je n'ai pas peur
du tout et je ne suis pas un enfant.
ALCIDE.--Alors, viens acheter une montre, grand benet: c'est moi qui te
la donne." Frederic
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