chait la rosee sur les
ravenelles du chateau de Blois, une petite cavalcade, composee de
trois hommes et de deux pages, rentra par le pont de la ville sans
produire d'autre effet sur les promeneurs du quai qu'un premier
mouvement de la main a la tete pour saluer, et un second mouvement
de la langue pour exprimer cette idee dans le plus pur francais
qui se parle en France:
-- Voici Monsieur qui revient de la chasse.
Et ce fut tout.
Cependant, tandis que les chevaux gravissaient la pente raide qui
de la riviere conduit au chateau, plusieurs courtauds de boutique
s'approcherent du dernier cheval, qui portait, pendus a l'arcon de
la selle, divers oiseaux attaches par le bec.
A cette vue, les curieux manifesterent avec une franchise toute
rustique leur dedain pour une aussi maigre capture, et apres une
dissertation qu'ils firent entre eux sur le desavantage de la
chasse au vol, ils revinrent a leurs occupations. Seulement un des
curieux, gros garcon joufflu et de joyeuse humeur, ayant demande
pourquoi Monsieur, qui pouvait tant s'amuser, grace a ses gros
revenus, se contentait d'un si piteux divertissement:
-- Ne sais-tu pas, lui fut-il repondu, que le principal
divertissement de Monsieur est de s'ennuyer?
Le joyeux garcon haussa les epaules avec un geste qui signifiait
clair comme le jour: "En ce cas, j'aime mieux etre Gros-Jean que
d'etre prince." Et chacun reprit ses travaux.
Cependant Monsieur continuait sa route avec un air si melancolique
et si majestueux a la fois qu'il eut certainement fait
l'admiration des spectateurs s'il eut eu des spectateurs; mais les
bourgeois de Blois ne pardonnaient pas a Monsieur d'avoir choisi
cette ville si gaie pour s'y ennuyer a son aise; et toutes les
fois qu'ils apercevaient l'auguste ennuye, ils s'esquivaient en
baillant ou rentraient la tete dans l'interieur de leurs chambres,
pour se soustraire a l'influence soporifique de ce long visage
bleme, de ces yeux noyes et de cette tournure languissante. En
sorte que le digne prince etait a peu pres sur de trouver les rues
desertes chaque fois qu'il s'y hasardait.
Or, c'etait de la part des habitants de Blois une irreverence bien
coupable, car Monsieur etait, apres le roi, et meme avant le roi
peut-etre, le plus grand seigneur du royaume En effet, Dieu, qui
avait accorde a Louis XIV, alors regnant, le bonheur d'etre le
fils de Louis XIII, avait accorde a Monsieur l'honneur d'etre le
fils de Henri IV. Ce n'etait donc pas,
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